Lettre aux enfants gâtés d’AgroParisTech (Par Jean-Paul Pelras)
Jeunes gens,
le 30 avril dernier dans la très prestigieuse salle Gaveau avait lieu la remise de diplômes aux étudiants d’AgroParisTech. Vous avez été huit à prendre la parole pour appeler à « déserter » l’agro-industrie. Car vous veniez de suivre une « formation qui pousse à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours »
L’une d’entre vous écrit dans Reporterre et dans Basta mag, l’autre veut s’installer en permaculture, un autre habite la Zad de Notre Dame des Landes où il pratique l’agriculture collective et vivrière, un autre milite contre le nucléaire à Bure, un autre s’installe dans un collectif sur une ferme « Terres de lien », un autre entend se lancer dans l’apiculture, un autre encore a rejoint le mouvement « Les soulèvements de la terre » dont les activistes ont saccagé les retenues collinaires (bassines) permettant d’irriguer les productions, un autre enfin déclare vivre à la montagne et veut se lancer dans le dessin…
La vidéo de votre intervention fit le buzz sur les réseaux sociaux où elle fut commentée de façon souvent élogieuse et dithyrambique par de nombreux médias. A l’exception du journal Le Point qui, grâce à l’article de notre consoeur Géraldine Woessner, a osé s’aventurer loin des prises de positions dictées par certaines ONG et une partie de la génération Greta Thunberg.
Titulaire d’un modeste Brevet d’études professionnelles agricoles obtenu à l’âge de 15 ans du côté de Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales, je ne peux bien évidemment rivaliser avec vous qui avez « appris » sur les bancs d’un établissement où vous ont précédé l’actuel ministre de l’Agriculture Julien de Normandie, Nathalie Kosciusko Morizet et, entre autres célébrités, le Prix Goncourt Michel Houellebecq.
D’ailleurs comment oser vous contredire, vous qui, depuis Lutèce, serez appelés à décider pour ceux qui, du matin au soir et tout au long de leurs vies, ont choisi des « jobs destructeurs » parce qu’ils sont devenus agriculteurs. Oui, comment oser contredire ceux qui au cours de leurs voyages aux quatre coins du monde ont pu rencontrer « Des personnes qui comprennent leur territoire pour vivre de lui sans l’épuiser. Qui luttent activement contre des projets nuisibles. Qui pratiquent au quotidien une écologie populaire, décoloniale et féministe. Qui retrouvent le temps de vivre bien et de prendre soin les unes-les uns des autres. »
Et, chers jouvenceaux moulés à la louche de ceux qui le valent bien, de rajouter bien poliment dans ce somptueux hémicycle : « Nous ne voyons pas les sciences et techniques comme neutres et apolitiques. » Apolitique, un peu finalement comme cet « appel à déserter » très favorablement accueilli par Julien Bayou secrétaire national d’Europe écologie les verts, par le chercheur François Gemenne engagé dans la campagne de Yannick Jadot, et, entres autres bienfaiteurs de l’humanité, par Jean Luc Mélenchon leader de la France Insoumise qui déclarait : « Ecoutez ça. L’espoir le plus grand. Que la nouvelle génération “déserte” le monde absurde et cruel dans lequel nous vivons » Un monde cruel qui vous pousse à déclarer : « Nous ne croyons pas que nous avons besoin de « toutes les agricultures ». Nous voyons plutôt que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur Terre. Nous pensons que l’innovation technologique ou les start-ups ne sauveront rien d’autre que le capitalisme. »
Il faudrait donc, selon vous, abandonner tout ce qui va permettre d’accroitre la productivité agricole et la compétitivité des exploitations qui permettent de garantir, mais pour combien de temps encore, notre autonomie alimentaire sur le territoire national et à l’échelle mondiale. Ou comment l’altruisme des grands sentiments migre ici vers l’égoïsme et l’aveuglement.
Les écologistes qui prônent la déconstruction de notre modèle agricole soutenus par une quantité non exhaustive d’ONG, d’associations, d’artistes aussi bien engagés pour la défense de l’environnement que pour celle du prêt à porter, instillent progressivement dans l’esprit des citoyens une pensée verdoyante tout autant inacceptable que risquée et inadaptée. Quelque part là où ceux qui ne manquent de rien veulent expliquer aux autres comment ils peuvent s’en passer. Je le redis ici, encore une fois, enfants gâtés qui redoutez « un burn out à 40 ans » biberonnés aux idées qui peinent à récolter 5 % des suffrages lors des élections, vous ne connaissez, hélas, de l’outil ni l’usage, ni le prix. Car l’agriculture, celle qui induit une obligation de résultats, n’est pas un métier que l’on exerce en dilettante dans des communautés libertaires en tricotant des pulls qui grattent, en regardant pousser les coquelicots, en utilisant les réseaux sociaux pour se revendiquer faucheur volontaire, en espérant que papa n’oubliera surtout pas d’envoyer le chèque à la fin du mois.
Jean-Paul Pelras
il faudrait quand même essayer de comprendre pourquoi il y a des suicides? des faillites? des fuites en avant.
Ces jeunes (que vous croyez nantis) ont simplement envie de remettre fortement et de l’intérieur le modèle productiviste si utile à la fin de la guerre.
La souveraineté alimentaire a bon dos, on est exportateurs nets pour un grand nombre de produits.