Nourriture : l’année des ventres creux ? [par Yann Kerveno]
Les prix alimentaires ne cessent de flamber dans le monde, mettant des pays entiers et des classes sociales en danger.
SI les caméras sont cette semaine tournées vers l’orient de l’Europe et les abords de l’Ukraine, il ne faut pas perdre de vue l’autre mouvement à l’œuvre, plus sournois, diffus mais mondial, propre à mettre à mal l’équilibre du monde. Il s’agit du prix des produits alimentaires qui, comme le reste de nos consommations, ne cesse de progresser. Le mouvement n’est d’ailleurs pas récent, en début d’année dernière les premiers signaux d’une grande tension à venir étaient déjà visibles. Le mieux, pour y voir clair, est de passer par les indices de la FAO, l’agence de l’ONU en charge des questions alimentaires et de celle de la lutte contre la faim dans le monde. Cette agence calcule en effet chaque mois un indice global des prix alimentaires sur la planète. Si l’indice 100 correspond à la moyenne des années 2014, 2015 et 2016, cet indice s’envole depuis l’automne 2020, date à laquelle il repasse au-dessus des 100 points. En janvier de cette année, il est établi à 135,7 points, en progression de 1,5 point par rapport à décembre 2021. Dans le détail, les hausses sont partout importantes. En douze mois, le prix des céréales a gagné 12,5 %, l’indice des huiles végétales atteint son plus haut historique, + 4,2 % en un mois, les produits laitiers gagnent 18,7 % sur un an, la viande 17,3 %, seul le sucre étant à la baisse et à son plus bas depuis six mois.
Plusieurs causes
Ces hausses importantes sont liées, comme toujours, à une série de facteurs qui se cumulent. Le manque de marchandises pour certaines catégories d’aliment, la fonte des stocks d’autres catégories, le manque de main-d’œuvre, l’augmentation des coûts de production, les avanies climatiques qui se succèdent sur la planète, les problèmes de logistique avec les flux portuaires gravement désorganisés… Sans parler de ce qui peut probablement venir s’ajouter au fil des mois prochains, crise politique russo-ukrainienne, dans une des principales régions de production de céréales au monde, la sécheresse de cet hiver qui commence à s’imposer dans l’agenda médiatique au Sud de l’Europe… L’ONU a d’ores et déjà identifié une vingtaine de points chauds sur le globe dans lesquels la situation pourrait rapidement se dégrader, en particulier l’Éthiopie, le Nigéria, le Soudan du Sud et le Yémen. Dans ces pays sous tension, une nouvelle dégradation ferait basculer ces régions au 5e niveau de l’insécurité alimentaire, lorsque la famine tue. Dans ces régions, la guerre est le facteur principal mis en cause, mais le climat et les prix des denrées alimentaires sont pointés du doigt pour d’autres zones, en Haïti, en Afrique de l’Est, le Proche-Orient, l’Afrique du Nord et l’Asie, en Afghanistan en particulier.
Manger ou se chauffer
Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce sont les plus fragiles du monde entier qui sont et seront concernés. Aux États-Unis, les prix alimentaires ont progressé de plus de 6 % en décembre, le prix de la viande, des œufs et du poisson ayant pris 12,5 % en un an. Plus près de chez nous, au Royaume-Uni, une enquête menée ces dernières semaines a révélé qu’un million de personnes avait passé au moins une journée sans manger, faute de pouvoir s’acheter de quoi se nourrir. Parce qu’il a fallu choisir entre se chauffer ou manger. Une autre enquête, menée par le militant anti-pauvreté Jack Monroe, montre que le prix du paquet de 500 grammes de pâtes est passé de 29 p à 70 p (+ 141 % en 12 mois), le riz le moins cher est passé de 45 p pour un kilo à 1 £. The Food Foundation a également noté des augmentations importantes, entre décembre et janvier, + 5,76 % pour les fruits, + 8,58 % pour les produits laitiers, + 2,95 % pour la viande…
Chacun fait comme il peut
Et rien n’annonce la détente d’autant que certains industriels, aux États-Unis en particulier, sont accusés d’avoir plaidé le recul de la consommation pour faire baisser les prix d’achat aux agriculteurs tout en arguant de manque de matière première pour faire monter les prix au détail. En Nouvelle-Zélande, les prix des aliments ont plus augmenté en un an qu’un cours des 10 dernières années. En Europe de l’Est, ils ont progressé de + de 5 % sur un an et certains gouvernements ont été contraints de prendre des mesures pour figer les prix de certaines denrées de base. Alors les pays, comme les ménages qui revoient leurs postes de dépenses, luttent avec les armes qu’ils ont. Des taxes ou des embargos sont apposés sur l’exportation de certains produits afin de limiter les sorties et privilégier les marchés locaux, d’autres, comme l’Égypte, repoussent une réforme envisagée du système de subvention du pain à cause de l’augmentation du prix du blé… La sortie de l’auberge n’est pas pour demain.