Lettre à Line Renaud à propos de l’euthanasie [par Jean-Paul Pelras]

Madame,
vous venez donc d’être décorée par Emmanuel Macron de la Grand-croix de l’ordre de la Légion d’honneur, plus haute distinction accordée par la République à laquelle, de toute évidence, vous pouvez prétendre si l’on s’en réfère aux critères d’attribution : “La personne doit avoir les mérites éminents dans l’exercice, pendant au moins 20 ans, d’activités au bénéfice de l’intérêt général et de la Nation.” D’autres auraient certainement pu, comme vous, devenir récipiendaires de la prestigieuse rosette. Mais ne murmurant pas tous à l’oreille des présidents, ils devront se contenter de quelques hochets en chocolat. Ceci étant, à mon humble avis, par les temps qui vont et considérant la “probité” de quelques médaillés, l’honneur de la Légion consiste surtout à la refuser. Nonobstant ce parti pris et cette aversion légendaire aux insignes, évoquons, Madame, le combat que vous menez pour la légalisation de l’euthanasie.

“Le droit de mourir dans la dignité est un combat qui vous ressemble et qui nous oblige” a déclaré, lors de la cérémonie à laquelle participaient de nombreuses personnalités, le président de la République. Lequel avait déjà précisé en mars 2022 : “Je soumettrai la fin de vie à une convention citoyenne”. Une de plus diront ceux qui sont blasés par cette overdose de grands débats, une de trop diront ceux qui n’entendent pas confier les dernières nuances de leur vie au premier d’entre nous, fut il inspiré par les suppliques d’une de nos plus célèbres mater dolorosa.

Car considérant, Madame, les regrets de M. Delfraissy, ceux encore plus récents d’Olivier Véran, la mise en examen de dame Buzyn recasée in petto à la Cour des comptes, la subite démission, en pleine pandémie, du marchand de sable Jérôme Salomon et tous les atermoiements politiques ou juridiques révélés à l’aune de cette crise, nous pouvons légitimement nous demander si le pouvoir en place est vraiment qualifié pour gérer le départ de nos anciens. Des anciens qui, pendant presque deux ans, sont partis pour trop longtemps de l’autre côté du chronomètre, désemparés et loin de leurs proches, sans que nous puissions savoir qui du virus ou du chagrin est venu les chercher.

Entre l’irrémédiable et l’insaisissable

Cet épisode-là, au pays où un président et son gouvernement ont interdit à tout un peuple de se déplacer au-delà d’un kilomètre, restera imprimé comme une tache indélébile sur l’histoire de ce pathétique quinquennat. Car, Madame Renaud, avec l’isolement de nos anciens et leur abandon, avec la détresse et la colère des familles, avec la petite comptabilité de la peur qui l’emportait, soir après soir, sur celle de l’humanité et de la dignité, l’euthanasie, derrière le regard vide et désespéré de nos ainés, était déjà d’actualité. Dans quel état d’esprit faut-il désormais aborder cette question, en revisionnant “Soleil vert” ou en faisant appel aux conseils de McKinsey ?

Allons Madame, comme vous qui avez évoqué le décès de votre maman, nous avons tous, un jour ou l’autre, été confrontés au départ d’un proche ou à celui de celles et ceux qui furent le début de notre propre histoire. Quelque part, entre l’irrémédiable et l’insaisissable, dans une chambre d’hôpital ou dans le soir finissant d’une maison de campagne, nous avons bien évidemment échangé quelques regards furtifs et probablement décisifs avec un médecin.

Mais la mort, car il s’agit bien de cela, doit-elle être suggérée par une énième convention citoyenne, par un énième comité Théodule, avec des gens tirés au sort qui décideront, entre deux conversations tenues devant à la machine à café et des heures passées à consulter leur smartphone, ce qu’il doit advenir de nos vies, avec ou sans consentement éclairé ? Non, Madame Line Renaud, je ne suis pas d’accord. Et je ne vois pas à quel titre, si ce n’est une fois encore en utilisant votre vedettariat, vous pouvez influencer un débat aussi important, aussi sensible, aussi risqué que celui-là.

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