Lettre à Éric Dupond Moretti [par Jean-Paul Pelras]

Maître,
nous avions échangé par téléphone, voici quelques années, alors que vous veniez d’acquérir une propriété viticole du côté de Collioure. Les rameaux et les pampres au pied des Pyrénées ne pouvant suffire à satisfaire vos ambitions, vous avez poursuivi votre quête, de prétoires en plateaux de télévision, jusqu’à ce mois de juillet 2020 où vous avez rejoint Jean Castex, autre “résident” Nord Catalan, pour prêter serment, cette fois-ci au sein d’un gouvernement.
C’est ainsi qu’après avoir parfois défendu l’indéfendable, vous êtes parvenu à décrocher l’invraisemblable. Ou comment l’avocat d’un terroriste et de quelques notables peu vertueux a pu se retrouver ministre de la Justice. Une question à laquelle nous n’essaierons pas de répondre car nous allons, de toute évidence, devoir nous habituer aux nominations ubuesques, aux choix anticonformistes, aux agréments déraisonnables.
De ce verre de vin que vous leviez dans la lumière du soleil roussillonnais à ce ministère où vous n’avez pas toujours été apprécié par ceux que vous représentez, en passant par cette corrida dont vous êtes, paraît-il, là encore un ardent avocat, vous avez donc su composer avec brio entre le rouge du breuvage, le noir de la robe et le pourpre du trépas. Quel diable d’homme que voilà. Paradoxal jusque dans ses choix. Un “client” qui se défend en quelque sorte, une gueule de cinéma, un magistrat atrabilaire et redouté, un politique de combat. Car c’est au combat que vous allez une fois encore, dans ces Hauts de France où vous êtes né, affronter Marine le Pen, sous pavillon Macron.
Alors que la France doit faire face à une flambée de violence incontrôlable et, de toute évidence, incontrôlée, le Garde des Sceaux part donc guerroyer contre ce qu’il considère comme étant “une imposture”. Pour faire court, endossant l’armure, il monte au front. Vous déclariez récemment à ce propos dans La Voix du Nord : “Il y a une histoire que je n’ai pas oubliée. Comme les innombrables condamnations de Jean-Marie Le Pen pour des propos haineux, antisémites. Et cela, j’entends le rappeler aux jeunes notamment”.
Le challenge est, à ce titre, hautement respectable pour le politicien que vous êtes devenu si l’on essaie d’oublier, bien entendu, votre carrière à géométrie variable et l’époque où vous défendiez le frère d’un terroriste accusé de complicité dans l’attentat d’une école toulousaine où des enfants Juifs furent exécutés à bout portant. Insupportables détails de l’histoire qu’aucune pirouette politique ou juridique ne parviendra à effacer. Une ombre à ce tableau où vous dites ne pas vouloir chasser sur les terres du Rassemblement National, mais chasser le Rassemblement National de cette terre.
Sans aller jusqu’à convoquer Jeanne d’Arc et Gilles de Rais, au risque de verser dans quelques délicates provocations, comment ne pas voir dans cette énième joute nordiste l’ombre du héros se sacrifiant pour la nation. Une nation qui, contrairement à ceux qui finissent par faire de la politique un métier, se préoccupe moins des suffrages que de sa sécurité. À moins que, sur ce coup-là, la sécurité ne devienne vraiment l’enjeu du suffrage.

Jean-Paul Pelras

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