Lettre à celle qui n’a pas pu dire Adieu à son mari

Madame,

il est parti hier soir et vous n’avez pas pu le voir une dernière fois. Vous n’avez pas pu prendre sa main dans la vôtre, vous n’avez pas pu échanger ces mots qui, dans les dernières nuances d’une vie, aident à franchir la frontière qui sépare l’irrémédiable de l’insaisissable. Vous n’avez pas pu, à cause de cette maladie dont on parle beaucoup aujourd’hui, l’embrasser, lui murmurer tout ce qui fait, à la proue du chemin, le résumé des résumés.  Cette maladie dont il serait, au bout de son âge, soi-disant décédé, quelque part dans une chambre d’hôpital où vous n’avez pas pu l’approcher.

Alors, vous avez préparé les vêtements dont vous aviez parlé ensemble au cas où, un jour, il faudrait se résoudre à partir le premier, le costume des dimanches pour qu’il puisse s’éloigner rasé de près et dans la dignité, vous aviez glissé dans une poche les photos que vous aviez choisies, ce petit mot que vous lui aviez écrit. Et puis quelqu’un vous a dit, sur un ton peu amène, que ce n’était pas la peine, qu’ils s’en étaient occupé, que tout était fini. Vous ne saurez donc jamais ce qu’ils ont fait de lui.

Aujourd’hui, Madame, nous sommes des millions à vous soutenir car ce qui vous arrive au-delà des passions, au-delà des partitions, au-delà des avis scientifiques ou politiciens est tout simplement honteux, inacceptable et inhumain. Nous n’avons plus le droit de laisser partir nos anciens sans leur dire adieu, sans leur dire que nous ne les avons pas abandonnés, sans savoir qui du virus ou du chagrin est venu les chercher. Nous leurs devons ce que nous sommes, nous les enfants d’une vie, les enfants de celles et ceux qui nous ont tout appris.

Aucun protocole, aucun président, aucun ministre, aucun gouvernement, aucun député, aucun médecin, n’a le droit de nous enlever le dernier regard, la dernière main tendue, le dernier espoir de ceux qui nous ont si souvent attendu, si souvent défendu, si souvent soutenu.

Que savent ces gens-là de nos souvenirs, de notre enfance, de nos confidences, de ces petits objets qui nous ont tant fait rêver, de ces promenades que nous n’oublierons jamais, de ce sourire qu’aucun cercueil ne peut emporter ?  

Parce que vous êtes en colère, Madame, nous le sommes aussi. Parce que vous êtes triste, nous le sommes aussi. Parce que vous êtes indignée, nous le sommes aussi. Parce que si la mort est une fatalité, nous ne pouvons accepter qu’elle soit usurpée par le mépris, la détresse et l’oubli. Voilà, Madame, ces quelques mots pour vous dire que, même si nous ne l’avons pas connu, nous sommes nombreux aujourd’hui à vous soutenir et, d’une certaine façon, à nous souvenir de votre mari.  

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