Lettre au Préfet des Pyrénées-Orientales qui devra choisir entre les agriculteurs et les écologistes (Par Jean-Paul Pelras)

Monsieur le Préfet,

c’était à la fin des années 1980, installés comme maraîchers et producteurs de plants en bordure de la Têt sur plus de 10 hectares de serres, nous étions, avec mon frère François et les salariés de l’entreprise, descendus jusque dans le lit de la rivière voisine afin de bloquer le chantier mis en place pour nettoyer le cours d’eau et sécuriser le tronçon de la RN 116 alors en construction. Le niveau des puits baissant à vue d’œil sur notre exploitation, car provoqué par l’effritement des berges du aux travaux, un enrochement fut décidé, de toute évidence consécutivement à notre action. Nous n’avons alors rencontré aucun problème pour descendre dans la Têt et même la traverser à pied, sans bottes, d’une rive à l’autre. Un scénario comparable à celui des années 1973, 2001 et 2008 où il fallut attendre les mois d’hiver pour retrouver un niveau de précipitations acceptables.

Sans vouloir nier le caractère exceptionnel du millésime actuel qui impacte principalement notre département, il faut relativiser l’usage et le volume des prélèvements un peu trop abusivement imputés à l’agriculture par certaines associations environnementales.

Car si, en 1979, les P.-O. comptaient 14 700 exploitants, ils ne sont plus que 3 000 environ désormais, avec un secteur viticole qui est passé de 50 000 à 23 000 hectares, un secteur arboricole qui est tombé de 12 500 à 4 500 hectares et une filière maraîchage qui, si elle occupait encore 8 000 ha dans les années 80, n’est plus que de 1 500 hectares aujourd’hui. A titre d’exemple, nous produisions alors 260 millions de pieds de salade dans les P-O, nous n’en produisons plus que 40 millions actuellement…

Une agriculture réduite à sa portion congrue car confrontée depuis plus de 3 décennies aux compétitions déloyales venues usurper nos marchés traditionnels. Nous n’avons, à ce titre, jamais vu d’écologistes s’indigner à la frontière quand, en moins de 30 ans, le flux journalier de camions chargés de marchandises importées est passé de 5 000 à 18 000. Il s’agit bien sûr, Monsieur le préfet, de ces importations qui font ces jours-ci le bonheur des distributeurs avec des promotions de fraises espagnoles et de tomates marocaines choisies comme par hasard pour remplir les « paniers anti inflation ».  Et là, Monsieur le représentant de l’Etat français dans les Pyrénées-Orientales, personne ne se préoccupe du niveau des nappes phréatiques, ni des conditions de travail pratiquées en Andalousie ou au Sahara occidental, car il est évidemment plus facile de contraindre l’agriculteur roussillonnais que le roi du Maroc ou l’importateur ibérique. 

Nonobstant ces considérations géopolitiques, revenons à cette eau qui pourrait cruellement manquer prochainement dans les vergers et les jardins roussillonnais si, toujours comme le souhaitent les environnementalistes, le débit réservé dans la Têt en aval du barrage de Vinça doit encore augmenter et passer de 1 200 litres secondes à 1 500 litres courant avril. 30 % seulement des besoins agricoles seraient ainsi pourvus pour le printemps et l’été, autrement dit pendant la période de fructification. Et ce, alors que le débit réservé en été était, jusqu’à présent, de 600 litres/secondes avec, comme évoqué précédemment, une baisse significative des productions et des prélèvements parfaitement maîtrisés grâce à la responsabilité des agriculteurs, à la gestion des canaux, aux adaptations techniques. 

L’étape suivante étant l’arrêt pur et simple de l’irrigation agricole. Sachant que, si le spectre des restrictions tous azimuts pèse sur l’arboriculture et le maraîchage, il remet aussi en cause tous les projets d’irrigation viticoles évoqués ces dernières années pour garantir l’évolution qualitative de nos vins.

Un tweet publié le 23 mars par le référent régional France Nature Environnement stipule : « Une sécheresse jamais vue, mais un préfet qui refuse toujours de passer en niveau crise selon les desiderata de la FNSEA. Ce “niveau de crise” réclamé par les environnementalistes implique l’interdiction d’irriguer les cultures y compris avec un système d’irrigation localisée comme le goutte à goutte ou la micro aspersion. En clair, il faudrait tout laisser crever, perdre les récoltes et hypothéquer, alors qu’il doit faire face à une augmentation inédite de ses coûts de production, l’avenir de tout un secteur d’activité. Celui qui, est-il nécessaire de le rappeler, restitue 80 % de l’eau utilisée, les 20 % restants servant à produire ce qui sert à nous alimenter.

Pourtant il suffirait, Monsieur le préfet, de garder l’eau en amont du barrage de Vinça qui, à bien y regarder, constitue une immense bassine, à l’image de celles que les activistes passent leur temps à détruire dans d’autres départements. Oui, garder cette eau, Monsieur Furcy, pour la réserver aux cultures, celles qui nourrissent la population, génèrent une induction économique et sociale, entretiennent le territoire par le travail. Et non par des idéaux dévastateurs, avec des donneurs de leçons que vous vous apprêtez peut-être à écouter, même s’ils ne connaissent ni l’outil ni l’usage, ni le prix.

L’accaparement systématiquement anxiogène du déficit en eau, qu’il soit médiatique ou politique, ne doit pas se faire au détriment d’une agriculture utilisée comme variable d’ajustement. Les friches, la déprise, les incendies, les risques naturels qui s’installent et prospèrent là où le paysan a été contraint de déserter son champ révèlent des stigmates tout aussi inquiétants que le manque d’eau constaté actuellement.

Avec cette différence près, Monsieur le Préfet, la pluie reviendra, les agriculteurs et leurs productions certainement pas. 

Bien respectueusement

Jean-Paul Pelras

Rédacteur en chef du Journal L’Agri

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