Lettre à mon boulanger [par Jean-Paul Pelras]
Madame, Monsieur,
c’est avec une certaine solennité que je vous destine ma petite correspondance hebdomadaire, car vous représentez l’un des derniers piliers encore en activité dans nos campagnes.
Voyez autour de nous comme tout s’effondre, les services publics avec La Poste qui menace de rationner ses tournées et le lancement d’un timbre rouge numérisé que beaucoup d’anciens ne sauront pas utiliser, avec ces bistrots qui furent nombreux ces temps-ci à servir leur toute dernière tournée, avec ces médecins qui ont déserté le pavé là où nous devons désormais effectuer des dizaines de kilomètres pour “essayer” de nous faire soigner, avec ces écoles où plus aucun enfant ne vient égayer les cours de récré, avec ces artisans et ces commerçants qui ont définitivement baissé leurs rideaux, contraints par une conjoncture qui les pousse à abdiquer, avec des paysans qui ont abandonné leurs champs car notre agriculture se trouve sacrifiée sur l’autel de toutes les compétitivités.
Oui, vous êtes les derniers intercesseurs d’un lien social malmené par les caprices d’une société de pacotille qui ne sait plus reconnaître nos valeurs et se perd en vétilles. Et voilà que, non contents de devoir vous lever dès potron-minet, vous devez multiplier par 4, par 8 ou par 10 vos coûts de production impactés, entre autres, par celui de l’électricité.
Pour vous accompagner, l’État met en place un dispositif comparable à un écheveau, beaucoup d’entre vous en conviennent, bien difficile à démêler. Et pourtant, votre président national, Dominique Anract, rosette à la boutonnière, décoré en janvier 2022 de la Légion d’honneur par le président Macron himself, déclarait récemment sur un plateau TV : “Même les boulangers de mauvaise foi doivent reconnaître l’aide de l’État”. Gratitude, remerciement, docilité, nous ne mesurerons jamais assez le bienfait des insignes et celui des hochets !
Évoquons ensuite cette phrase prononcée, cette fois ci, par Gerard Larcher : “On ne pourra pas aider tout le monde”. Et le président du Sénat de rajouter sur RMC, probablement entre deux rendez-vous où il prit soin de se sustenter et où ni le pain, ni les profiteroles ne devait manquer : “Comme on dit dans le Berry : « On fait quoi qu’on peut avec quoi qu’on a »”.
Nous savions, chers amis boulangers Berrichons, Catalans ou Aveyronnais, les syndicalistes et les politiques prudents, voire circonspects. Ces deux là nous renseignent sur la part consubstantielle d’espoir qu’il vous reste à escompter. “Pas de vagues” suggère en quelque sorte le premier, alors que le second, du haut de son perchoir, appelle à la tempérance et, osons ce terme qui peut sembler inapproprié, à la frugalité.
Cette frugalité dont Monsieur Larcher ne semble pourtant pas être coutumier si l’on consulte l’article de Capital publié fin 2019 ou il est précisé : “Les frais de « déplacements, missions et réceptions » engagés par Gérard Larcher et les services de la présidence – dont une partie relève de l’action institutionnelle classique : accueil de personnalités étrangères, manifestations protocolaires, etc. – ont augmenté de 48 % entre 2017 et 2018, passant de 252 749 euros à 376 133 euros l’an dernier, dont 133 799 euros pour les seuls frais de réception.”
Reste à savoir si, quand nous n’aurons plus de pain, ni de croissants, dans nos campagnes, quand vos fournils seront éteints pour trop longtemps, quand vos pétrins seront abandonnés, vos mitrons licenciés, vos devantures vidées, il restera encore un peu de brioche, quelques babas au rhum, mille-feuilles et autres religieuses ou saint honoré à se partager du coté du Palais du Luxembourg, du Palais bourbon, de Matignon et de l’Élysée.