Les journalistes et les négociants [par Jean-Paul Pelras]

Le 13 juillet dernier, l’Élysée annonçait le lancement des États généraux de l’information prévu pour septembre. Avec, à la manœuvre, un Comité indépendant présidé par Bruno Lasserre, ancien vice-président du Conseil d’État et quatre membres dont Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans Frontières ; Nathalie Collin, directrice générale adjointe de La Poste et ancienne dirigeante de presse (Libération, Le Nouvel observateur) ; Camille François, autrice d’un rapport sur les métavers et chercheuse à Columbia University et Anne Perrot, inspectrice générale des Finances. Un plan qui doit favoriser “l’accès du citoyen à une information libre, indépendante et fiable”. “Sur fond de défiance globale (…) de nouveaux équilibres doivent être trouvés” précise le communiqué présidentiel. “Vaste programme” en perspective si l’on considère justement “la défiance globale” évoquée dans ce communiqué et pour laquelle il faut peut-être, avant de convoquer un énième comité Théodule, remonter aux sources du problème. Autrement dit, à l’artisan du doute lui-même qui, depuis la crise des Gilets jaunes en passant par celle de la Covid et jusqu’à ces 49-3 dégainés en rafale, a imposé, sans qu’aucune contradiction médiatique de ce nom lui soit opposée, sa petite comptabilité à géométrie variable.

Quant à “l’information libre et indépendante”, commençons par évoquer ces familles fortunées et influentes qui détiennent la presse : Arnault, Pinault, Bouygues, Bolloré, Niel, Bettencourt, Saint Cricq, Dassault, Ghosn et autres Drahi ou Baylet, auxquelles il faut rajouter quelques banques comme le Crédit Mutuel et le Crédit Agricole. Et posons-nous cette question : les États généraux de l’information vont-ils remettre en question l’hégémonie financière et politique de ces gens-là sur les titres qu’ils possèdent ? Idem concernant l’information pilotée par le service public : y aura-t-il une ligne pour exiger la neutralité du directeur des programmes de France télévision, proche, très proche même, des milieux écologistes. Rien n’est moins sûr à l’heure où les écrans dictent la pluie et le beau temps, en alternant la peur et le rêve entre deux images de réchauffement et une invitation à prendre l’aéroplane pour se transporter du côté des Iles Sous-le-Vent.

La propagande et la vérité

“Défiance globale” nous dit le communiqué élyséen. Comment peut-il en être autrement quand le lecteur, le téléspectateur, l’auditeur se retrouve pris en otage d’une information calibrée, jugulée, orientée. “Tu te fais des idées” me diront en haussant les omoplates quelques confrères et consœurs qui, même s’ils jurent le contraire, doivent pourtant choisir entre l’opinion qui arrange et la vérité qui dérange.
J’ai moi-même été confronté à ce dilemme. Et je n’ai jamais cédé, préférant au chèque ou au silence, le prix de la liberté. N’ayant jamais fréquenté les écoles de journalisme, je ne sais peut-être pas ce qu’est le métier comme bon nombre de confrères “diplômés” me l’ont souvent fait remarquer. Mais je sais encore établir quelque différence entre la propagande et la vérité.

J’écrivais à ce titre voici quelques années : “Paysans et journalistes, les premiers savent, les seconds disent. J’ai été l’un et l’autre. Sans jamais être l’un ou l’autre. Finalement, je crois que ni les uns, ni les autres ne me l’ont pardonné”. De ce voyage au pays de l’information qui s’achève dans quelques mois, je garderai cette citation et peut-être, surtout, la fierté de ne jamais rien avoir négocié.

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