Les “gros mots” de Jean-Paul Pelras : Patientez !

« Tapez 1, tapez 2, tapez 3 ». « Veuillez patienter, un conseiller va vous répondre ». Et hop, la petite musique d’ascenseur. Et hop, un autre petit message qui t’apprend que « le temps d’attente est de 15 minutes ». Et hop, tu fredonnes « Ne me coupe pas, ne me coupe pas ». Et hop, à la quatorzième minute, facturée comme les 13 précédentes, l’organisme en question raccroche. On recommence, car nous n’avons pas le choix, jusqu’à ce que, miracle, le conseiller (Dieu, Sa Majesté, notre sauveur, notre sultan, notre prince, son altesse, sa divinité…) daigne enfin se manifester pour te dire que ce n’est pas le bon service, que ta question ne relève pas de ses capacités. « Nous sommes vendredi, veuillez rappeler lundi ou vous déplacer dans nos bureaux, sur rendez-vous bien entendu ». Et comment on prend rendez-vous ? « En téléphonant monsieur, en téléphonant ou par internet… » Et là, le code et tout le saint frusquin (voir rubrique du 18 janvier). Une fois le rendez-vous obtenu, tu te pointes dans les bureaux, tu prends ton ticket en espérant que le guichet ne va pas fermer pour la pause déjeuner au moment où tu t’apprêtes enfin à rencontrer le conseiller. (Dieu, Sa Majesté, notre sauveur, notre sultan, notre prince, son altesse, sa divinité…) Et puis tu vois le petit volet s’abaisser… Patientez, patientez jusqu’à 14 heures. Sandwich, pipi, café… Vite revenir dans la file ou bien rester planté là pour ne pas avoir à tout recommencer.

Idem chez le toubib où tu poireautes dans une salle d’attente en écoutant tousser les autres, en feuilletant des magazines qui datent du siècle dernier, en te demandant si ce que tu vas choper ne sera pas pire que ce pour quoi tu es venu consulter. Mais là encore, tu n’as pas le choix, tu dois patienter. Ou bien, si tu décampes, tu en reprends pour six mois. Et, en plus, selon l’archange Gabriel, dorénavant tu vas devoir casquer si tu désertes l’agenda. Patientez, patientez au supermarché parce que la dame, un peu désolée, te dit « Je ferme, veuillez passer à la caisse d’à côté ». Celle que tu avais repérée parce qu’il n’y avait encore personne, juste avant de t’apercevoir que tu avais oublié la chicorée… Et maintenant, devant toi, deux chariots pleins à craquer, manque que les ridelles pour que tout puisse rentrer. Et la cliente qui prend son temps pour tout bien arranger, qui se demande s’il va pleuvoir, qui sort les tickets de réduction, qui doit payer par chèque et qui a acheté le produit sur lequel le code-barres a été effacé. Il faut appeler le rayon. Et, pendant ce temps, tu t’inquiètes pour le surgelé…

Patientez au péage autoroutier quand le monsieur ou la dame dans la bagnole de devant n’arrive pas à payer. Pas la bonne file, il faut reculer, impossible trop dangereux, trop de monde, il faut patienter. Et l’autre qui appelle un responsable dans l’interphone. Tiens un british qui n’a pas la vitre du bon côté, qui fait le tour à pied, qui s’est trompé de carte bleue, qui n’a pas assez de monnaie. Patientez, patientez au feu rouge sur cette petite route en travaux en regardant tourner le temps d’attente ou, si vous êtes loin dans la file, en espérant qu’il ne va pas repasser au rouge juste quand vous vous apprêtez à passer. Patientez, patientez dans ce restaurant où vous vous demandez pourquoi ceux de la table d’à côté, pourtant arrivés bien après vous, sont servis en premier. Patientez, patientez, mais tout de suite s’il vous plaît !

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