Les “gros mots” de Jean-Paul Pelras : Le mégaphone

(À Louis Torres et à Rémi Pascot)

Récemment, devant la préfecture d’Agen, le président de la Coordination rurale 47 a utilisé, comme souvent dans les manifestations, un mégaphone pour s’adresser à ses ressortissants. Lesquels avaient un peu encombré le pavé et pulvérisé quelques déjections végétales ou animales sur la façade du bâtiment public. Une manif « à l’ancienne » aurai-je tendance à dire, musclée, rugueuse, enflammée, bucolique, champêtre, parfumée. Et ce, même si elle fut critiquée par bon nombre d’observateurs, syndicats agricoles majoritaires à « vocation générale », concurrents soudainement devenus rétifs à ce genre de pratiques, et autres médias, représentants politiques ou écologistes prompts à évoquer un parallèle entre ce genre d’action et celles commises par les activistes environnementalistes. Ces derniers, petit rappel fondamental, s’employant à détruire le travail des autres, les agriculteurs luttant pour le préserver.

Mais revenons à notre mégaphone pour évoquer une anecdote survenue dans les Pyrénées-Orientales à la fin du siècle dernier. Cette année-là et après avoir manifesté pour dénoncer la chute des cours en fruits et légumes une quarantaine de fois en deux mois, nous avions décidé d’investir les locaux de la Chambre d’agriculture pour retenir, le temps d’une journée, trois fonctionnaires de la Direction départementale de l’agriculture (DDA) en échange d’une réponse ministérielle concernant la prise en considération de nos difficultés.

La cohabitation entre les agents de l’État et les agriculteurs était cordiale, ils ne manquaient de rien, ni de fauteuils pour se reposer, ni de nourriture pour se sustenter. C’est en début de soirée que les choses se sont un peu compliquées. Alors que nous étions en train de faire griller saucisses et côtelettes dans la cour du bâtiment, des policiers en civil ont fait irruption, matraque en main, pour disperser les impétrants, évidemment sans la moindre courtoisie, ni ménagement. L’effet de surprise fut total, la confusion également. Les souches embrasées volaient par-dessus les grilles et une compagnie de CRS donnait l’assaut presque simultanément. Dans les minutes qui suivirent, plusieurs agriculteurs furent blessés ou appréhendés. L’un des nôtres sera incarcéré pendant 59 jours. Il y eut incontestablement un avant et un après 29 septembre 1999 pour les paysans des P.-O.
Et puis ce symbole, alors président des maraîchers (Remy Pascot était président du Syndicat fruits et Dominique Durand président des Jeunes Agriculteurs), je monte sur le capot d’un véhicule pour appeler au calme avec ledit mégaphone, avant de me retrouver allongé sur une table de restaurant, puis sur une civière dans un couloir d’hôpital ayant reçu derrière la nuque une pile de talkie-walkie.

Depuis, chaque fois que je vois un mégaphone, je repense à celui que nous avons retrouvé le lendemain matin sur les lieux de la bataille, soigneusement brisé en une multitude de morceaux, le plus gros devait mesurer un centimètre. Le mégaphone, cet instrument de communication usité sur toutes les barricades contemporaines pour défier le pouvoir en place, à l’instar du stylo ou de l’ordinateur dans quelques contrées totalitaires, venait donc ici de faire long feu sur ce parking, d’ordinaire réservé aux véhicules consulaires.

Depuis, je me suis souvent demandé pourquoi le matériel en question s’est retrouvé, éparpillé façon puzzle, sur le goudron d’où s’échappaient encore au petit matin les volutes de la contestation. Et je me suis dit que, pour hacher aussi menu un porte-voix, quelqu’un, dans le camp adverse probablement, ne supportant ni la grillade, ni la convivialité, ni la liberté d’expression, avait dû beaucoup s’ennuyer ce soir-là.

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