Dépendants… (Par Jean-Paul Pelras)
Bayrou nommé au Haut commissariat au Plan pour imaginer ce que sera la France dans 10, 20 ou 30 ans, Penicaud en passe d’être nommée représentante permanente de la France pour l’OCDE, Buzyn pressentie pour présider l’Universcience, Griveaux chargé d’une mission sur l’alimentation des jeunes, l’Élysée débloquant 483 millions d’aides exceptionnelles à la presse auxquels il faut rajouter 840 millions perçus chaque année par ce secteur d’activité… Florilège d’informations glanées ces derniers temps qui, à défaut de servir l’intérêt des Français, servent celui d’une poignée d’individus recyclés, adoubés, promus, subventionnés.
Prenons, pour illustrer ce constat, l’aide à la presse, et évoquons cette rencontre qui s’est tenue jeudi dernier à l’Élysée où Bruno Lemaire et Roseline Bachelot, respectivement ministre du Budget et de la Culture avaient rejoint Emmanuel Macron pour recevoir les “principaux représentants” de la presse d’information générale. Et empruntons au Figaro pour savoir ce qui s’est dit ce jour-là car, bien sûr, L’Agri n’était pas convié à cette rencontre : se disant “satisfait de la considération manifestée par le chef de l’État”, Jean-Michel Baylet, principal représentant des éditeurs en tant que président de l’Alliance de la presse d’information générale (305 titres employant plus de 10 000 journalistes), reste toutefois inquiet. “À une crise structurelle s’est greffée une crise conjoncturelle d’une grande violence. Les chiffres d’affaires de diffusion des éditeurs ont baissé durant le confinement jusqu’à 25 % et les recettes publicitaires ont chuté de 30 % et jusqu’à 80 %, mettant en péril de nombreux acteurs”, rappelle l’ancien ministre et PDG du groupe La Dépêche. “En même temps, la presse a montré sa mobilisation et sa capacité d’action pour informer nos concitoyens en pleine tempête.”
Baylet, Bouygues, Dassault, Bettencourt, Bolloré, Arnault, Pinault, Niel, des gens dans le besoin qu’il faut bien entendu soutenir pour que l’information puisse survivre à ce qu’elle est en train de générer, autrement dit la désinformation calibrée et orientée…
Différences de traitements…
En 2017, Aujourd’hui en France percevait 8,3 millions d’euros, Libération presque 6 millions, idem pour le Figaro, alors que Le Monde touchait 5 M €, La Croix 4,6 M € (et oui…), Ouest France 4,4 M €, L’Humanité 4,1M € (et oui…) et, entre autres bénéficiaires de cette manne républicaine, La Dépêche du Midi un peu plus de 1,5 M €. À ces sommes rondelettes il faut rajouter, bien entendu, la contribution de l’État au budget de l’audiovisuel public et à l’Agence France Presse. Au total, et non sans une certaine opacité, ce sont, à la louche, entre 5 et 6 milliards d’euros d’argent public qui seraient attribués à une partie des médias français. Des fonds susceptibles de créer une forme de dépendance diront ceux qui voient le mal partout, des fonds qui viennent d’être abondés pour permettre à la presse française de rester au dessus de la ligne de flottaison. Même si elle se contente bien souvent de patauger dans les eaux basses de la désinformation.
Et puis il y a L’Agri, petit journal agricole rural, devenu “d’opinion” qui chemine depuis 1947 au gré des crises paysannes. L’Agri qui défend nos campagnes et bouscule la doxa jusque sur les bancs de l’Assemblée nationale où environ 200 parlementaires cliquent sur le lien du journal chaque semaine. L’Agri qui frôle les 175 000 lectures pour “La lettre à Binoche et de Niro” publiée au printemps dernier, L’Agri dont le site atteint des pics de fréquentation allant de 50 000 à plus de 100 000 visiteurs par mois. L’Agri qui n’échappe pas aux effets dévastateurs de la conjoncture détaillée un peu plus haut par le patron de La Dépêche. L’Agri qui s’est diversifié et survit grâce à ses abonnés et à ses annonceurs dans un contexte où les uns et les autres traversent une période socio-économique bien compliquée. L’Agri qui, comme la quasi totalité de la presse spécialisée et à fortiori rurale, va encore une fois passer à coté des subsides octroyés aux grands groupes probablement considérés comme étant “d’utilité publique”.
Et pourtant, osons entrevoir une lumière derrière ce rideau d’injustices, car si nous n’avons pas eu le privilège d’être invités à l’Élysée, nous savons que le Premier ministre est abonné depuis des années à notre titre. Il lira donc cet éditorial !
Et puisque Jean Castex entend défendre la ruralité, qu’il s’attaque aussi dans l’urgence à quelques différences de traitements. Car la pluralité de la presse et des expressions passe avant tout par la reconnaissance unilatérale des opinions. Le cas échéant nous pouvons, pour échanger sur cette question, le rencontrer à Prades ou, moyennant quelques sacrifices, nous transporter jusqu’à Matignon.