Bébés à la carte
EN 1901 à Paris, lors de l’Exposition universelle, la duchesse d’Uzès voyant passer un aéroplane s’exclame : “Un jour peut être les hommes seront immortels.” Évidemment cette aristocrate ne pouvait pas savoir qu’un siècle plus tard ses semblables allaient inventer les NBIC, comprenez “Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives”, cocktail savant qui pourrait, à terme, avoir raison de la mort. Pour y parvenir les transhumanistes ne chôment pas et ne se contentent plus de savoir comment ils pourront rallonger l’espérance de vie humaine. Ils en sont même à faire passer Jeanne Calment pour une jouvencelle à côté de ces multi-centenaires qu’ils ont l’intention de “promouvoir” en inventant, pour ainsi dire, un nouveau génome humain. La galipette n’étant plus de rigueur pour procréer, le lancement sur le marché de l’utérus artificiel serait même dans les cartons d’un futur proche. Ce qui donnerait des supers bébés dotés d’intelligences programmées pour être immunisées contre à peu près tout ce qui menace l’homo-erectus du moment.
Dépassées donc procréation artisanale, fécondation in vitro, congélation d’ovocytes qui permettent, aux États Unis, de programmer, pour raisons professionnelles, le temps des grossesses. L’heure serait au bébé à la carte. Celui qui ne sera jamais confronté à l’usure de ses chromosomes, qui viendra au monde sans l’aide d’aucun parent et qui pourrait même ne plus connaitre de contraintes physiques car complètement dématérialisé. Autrement dit, un corps sans corps, ultra connecté capable de faire vivre une famille, de diriger une entreprise, de présider un pays. Bien sûr ça fout les jetons. Et l’on se dit, peut-être un peu égoïstement, que notre seule consolation serait d’être né assez tôt pour ne pas avoir à vivre pareille odyssée.
Le “comment ?” et le “pourquoi ?”
Demeure pourtant une question, pour ainsi dire fondamentale, alors que l’on explore l’univers sans relâche et sans que l’on puisse y trouver la moindre trace de vie digne de ce nom : Pourquoi ? Oui, puisque nous savons à peu près “comment”, “pourquoi” en sommes-nous arrivés là ? Les religieux ont leurs réponses, dont Saint Grégoire de Nysse qui disait : “Et nous irons de commencement en commencement par des commencements qui n’auront pas de fin.” Ce qui, vous en conviendrez, ne nous avance guère. Les philosophes ont aussi leur petite idée tel Vladimir Jankélévitch qui déclarait : “Nous sommes une apparition disparaissante”. Quant aux écrivains, à l’instar du regretté Jean Carrière, ils évacuent le problème avec une formule du style : “Il est désormais trop tard pour mourir, il va falloir trouver d’urgence une autre solution.” Enfin citons les politiques qui n’y comprennent pas plus que les autres, mais qui s’arrangent parfois avec les religions et les dommages collatéraux que l’on sait. Ou qui coupent court à toute excursion dans l’au-delà comme ce dirigeant soviétique qui lançait à Jean-Paul Sartre : “Vous savez quand la mort arrive. C’est fini tout ça. Et l’on se retrouve seul.” Et Brel qui nous murmure depuis ses Marquises dans son tout dernier opus : “Mourir, la belle affaire. Mais vieillir, ô vieillir.”
Car tout dépendra, bien évidemment, du degré de conscience avec lequel nous allons évoluer dans un univers qui, lui, de toute évidence et contrairement à nous, est appellé à disparaitre. À en croire les pronostiqueurs scientifiques, le temps des “pièces détachées” serait d’ores et déjà obsolète et celui d’un individu connecté à toutes les intelligences serait plus que jamais d’actualité. Reste à deviner où nous nous situons sur l’échelle de ces connaissances. En essayant de gérer cet éternel présent où la question entre superpuissances n’est plus de savoir qui va détruire l’autre avec ou sans ogive nucléaire. Mais bien d’augmenter le quotient intellectuel des masses dès l’enfance pour gagner en compétitivité. Histoire de garder encore un peu les pieds sur terre.
Jean-Paul Pelras