Le jour où nous avons demandé la démission du président de la FNSEA (Par Jean-Paul Pelras)
« Selon une note du service de renseignement territorial consultée par Le Monde, la FNSEA se montrait « très inquiète de la venue de différents cortèges de la Coordination rurale ». Le syndicat agricole majoritaire redoute qu’il y ait un « risque que certains de ses militants de ses propres troupes les rejoignent pour des actions plus musclées ». La note évoque également des « pressions » de la FNSEA sur les pouvoirs publics pour que ces convois soient stoppés ».
Une information relayée par de nombreux médias, dont Ouest France le 31 janvier 2024, qui n’est pas sans rappeler les termes d’un courrier daté du 21 mai 1997 adressé au commissaire européen Franz Fischler par Luc Guyau et Jos Ewert, alors respectivement présidents du COPA et du COGECA. Précisons que Luc Guyau était, à ce moment-là, également président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).
« Suite aux actes de violence commis en France la semaine dernière contre des transports de fruits et légumes entre autres d’origine espagnole, le COPA et le COGECA ont condamné publiquement, comme ils l’ont fait chaque fois que cela s’est produit, l’attitude injustifiable des producteurs français. Afin d’assurer le respect des règles du marché unique, le COPA et le COGECA demandent aux instances de l’Union et aux autorités françaises de prendre toutes les mesures nécessaires notamment d’ordre public et judiciaire pour arrêter ces actes de vandalisme. Le COPA et le COGECA demandent à la Commission d’accélérer la procédure en cours à l’encontre du gouvernement français concernant les mesures prises par celui-ci pour assurer la libre circulation des marchandises ».
Le 13 juin suivant, un courrier du même acabit rédigé par les mêmes signataires fut adressé à Wim Kok, alors président du Conseil européen. Dans la foulée, en tant que président du Centre départemental des Jeunes Agriculteurs des P.-O., je demandais, avec notre secrétaire général, Pierre-Jean Savoldelli, la démission du patron de l’agriculture française. Requête qui, bien sûr, nous valut une belle bordée de désagréments et ne fut jamais entendue.
27 ans plus tard, en février 2024, ce sont les agriculteurs espagnols qui bloquent la frontière de l’autre côté des Pyrénées, pour protester à leur tour et à l’instar de nombreux agriculteurs européens, contre les compétitions déloyales. Et partout, qui flottent au-dessus des barricades champêtres, la même bannière syndicale et le même slogan. Celui qui dénonce les distorsions sociales et le niveau trop élevé des charges qui pèsent sur l’agriculture européenne. Presque 3 décennies séparent ces deux dates. L’âge de raison diront les plus optimistes. Le temps de l’oraison diront ceux qui n’ont plus les moyens de rembourser leurs emprunts, d’investir ou tout simplement de vivre décemment d’un métier qui leur aura pris jusqu’à leur dignité. 27 ans perdus à écouter des discours lénifiants dans la grande farce des compromis qui ont servi à redistribuer les cartes au sein d’une Europe où l’agriculture française sera, qu’on le veuille ou non, désormais toujours trop chère.
En 1997, lorsque nous avons dénoncé les propos de Guyau, certains responsables agricoles se sont indignés au nom de « la famille » qu’il fallait préserver. Cette « famille » qui aujourd’hui compte tout de même bon nombre d’orphelins. À l’aune d’une époque où l’agriculture, plus que jamais confrontée au bon vouloir des « visiteurs du soir », a peut-être laissé filer pour trop longtemps les rênes de son destin.
Jean-Paul Pelras