La valise de Francis [par Jean-Paul Pelras]

Année 1999. Suite à l’interpellation de Christian Soler, consécutive à la manifestation qui s’est déroulée le 29 septembre dans les locaux de la Chambre d’Agriculture des P-O, nous décidons de nous constituer prisonniers. Vêtus de t-shirts rouges, comme celui porté par notre ami arboriculteur le soir de son interpellation, certains s’enchaînent à tour de rôle et par groupes de trois ou quatre aux grilles du Palais de Justice. D’autres décident de se rendre à la police dont les locaux sont situés non loin de l’établissement consulaire.

L’image de ces agriculteurs traversant le passage clouté avenue de Grande Bretagne, ce jour-là, empruntait, toutes proportions artistiques gardées, à celle de quatre célèbres musiciens anglais traversant, en file indienne, celui situé devant le studio londonien d’Abbey Road. En guest-stars, une petite douzaine d’agriculteurs, parmi lesquels Francis Cuadrat, maraîcher respectable et respecté établi, avec son épouse, son fils et sa belle-fille, sur la commune de Bompas. Francis, qui ne plaisantait pas avec le respect que l’on doit au monde agricole et qui doit d’ailleurs, ces jours-ci, avoir bien du mal à ne pas envoyer valser la télé par la fenêtre quand il voit s’afficher, au chevet des paysans, ce défilé d’écologistes et de politiciens responsables du malaise que dénoncent les manifestants.

Francis, donc, qui arrive au lieu de rendez-vous avec une valise. À l’intérieur de la valise, le nécessaire de toilette, savon, peigne, shampoing, brosse à dents, rasoir, serviettes, gants, des vêtements de rechange, un réveil, de quoi écrire, ses papiers d’identité, le tout rangé soigneusement. Tant qu’à se constituer prisonnier, autant le faire dans la dignité et sans avoir à solliciter la garde-robe de l’État français. Nous voilà devant la porte du bâtiment public. Un fonctionnaire, stoïque, le regard froid, nous reçoit sur le perron. Nous expliquons, tout aussi imperturbables et solennels, la démarche. Et demandons que l’on nous passe les bracelets, puisque l’avant-veille nous étions, comme Christian, également au cœur des hostilités.
Rien à faire, impossible de faire entendre notre supplique. Comprenez : ils en tenaient un, pas la peine d’en rajouter. Claude, Lucien Guitart, Alain Cambres et le regretté Marcel Angelats, mais aussi et entre autres fantassins autodésignés ce jour-là, Rémi Pascot et Dominique Durand, eurent beau plaider la cause d’un groupe solidaire et déterminé à braver les affres du mitard, rien n’y fit, ce fut une fin de non-recevoir.

De cette séquence, nous retiendrons le sérieux de Francis Cuadrat. Il n’y avait aucune mise en scène, il n’était pas en « représentation ». Il était vraiment prêt à être incarcéré pour la cause agricole, pour ce métier bafoué, méprisé, stigmatisé. Quant à Christian, transféré quelques jours plus tard à Villeneuve les Maguelone, il devait rester 59 jours en prison.

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