Péripéties syndicales : Rapport de forces ! (Par J-Paul Pelras)
Ils s’appelaient Dédé, Roger, Joseph, Georges, André, Hervé, Antoine… Désormais partis pour trop longtemps de l’autre coté du chronomètre, ils ont, des années 60 au début des années 90, défendu l’agriculture roussillonnaise et tout particulièrement le secteur des fruits et légumes dans des proportions à la fois spectaculaires et légendaires. À cette époque, l’effondrement des mercuriales sur une production au marché de gros suscitait immédiatement la mobilisation de plusieurs centaines de maraichers ou d’arboriculteurs qui se rendaient comme un seul homme de l’autre côté de la Basse, à 7 heures du matin et à quelques dizaines de mètres de là, sous les fenêtres du préfet.
Tel ce 30 juin 1963, lorsque les agriculteurs arrivent sur le quai Sadi Carnot, fermé aux deux extrémités par les forces de l’ordre. « Les CRS en Algérie ! » lancent, galvanisés, les paysans, alors que de part et d’autre débute un échange de projectiles plus ou moins murs. Des remorques de fruits et légumes et même une citerne de béton qui passait par là sont déversés dans la foulée côté Castillet. Et puis, ce fut l’affrontement, inévitable, violent. « À coups de bâtons blancs, à coups de crosses de fusils » relate la presse du lendemain. Avec cette image forte, celle d’un face à face tristement symbolique. Un homme, agriculteur, un fruit dans chaque main, implorant son fils, CRS casqué, matraque et fusil au poing dans les rangs adverses : « Pour la mère de Dieu, rentre à la maison ! »
Un peu plus tard ce matin-là, devant le restaurant L’Échanson, le perpignanais Georges Balcells vient au secours du Pézillanais Antoine Fontanel, inconscient, le crâne en sang. Se frayant un passage au sein de la manifestation, il transporte le maraicher jusqu’à la clinique La Roussillonnaise où ce dernier retrouve son frère Charles, également blessé. Pendant ce temps, le préfet Dubois refuse de recevoir les manifestants. Et les manifestants, dans la foulée, refusent de voir le préfet… Pareil scénario se reproduira en 1999, un peu avant l’interpellation, sur le parking de la Chambre d’agriculture, de Christian Soler.
Durant des décennies, le rapport de forces entre l’État et les agriculteurs roussillonnais a rarement faibli et n’a jamais, comme c’est souvent le cas désormais, fait l’objet de compromis sur le trajet à emprunter et le modus operandi à respecter.
33 ans plus tard, en 1996, André Serrat, vieux briscard de la première heure, arrive à la coopérative Plaine du Roussillon où le ministre de l’Agriculture de faction à ce moment-là, Philippe Vasseur, est en visite. Dans sa fourgonnette, des artichauts importés d’Espagne impropres à la consommation qu’il vient d’acheter en grande surface. Les forces de l’ordre ne le laissent pas approcher et il est réexpédié manu militari dans son Ribéral d’origine. Et ce, alors que, comme d’habitude, de l’autre côté du cordon sécuritaire, le magnétisme ministériel opère avec son lot de gesticulations convenues et de circonvolutions protocolaires.
André reviendra avec d’autres artichauts, une canne à la main cette fois ci, devant le préfet Bonnet lors d’une assemblée générale des Jeunes Agriculteurs pour exprimer sa colère et son indignation. Ce jour-là, évidemment nous l’avons laissé parler ! Car il était de ceux qui ne renoncent jamais. Parce qu’il savait, comme le disait un jour le leader syndical ouvrier Henry Krasucki : « Dans l’histoire, (la vraie, celle qui décide de la destinée d’un pays), on ne se contente pas de grenades qui font pleurer ».
Jean-Paul Pelras