Le futur de l’irrigation ? [par Yann Kerveno]
Le contexte de sécheresse que les Pyrénées-Orientales connaissent cette année va obliger à se pencher sur la question de l’irrigation des cultures et de son efficacité. De nouveaux outils pourraient aider à faire mieux.
Si tout le monde a entendu parler de sondes tensiométriques, celles qui permettent de mesurer les efforts que les arbres sont contraints de fournir pour aller chercher l’eau, la dendrométrie reste une technologie pour l’instant passée sous le radar. Ingénieur de recherche au CTIFL dans la Drôme, Baptiste Labeyrie mène des expérimentations sur arbres fruitiers, fruits à noyaux, qui utilisent cette technologie. “C’est un procédé assez ancien en fait, on a des travaux de l’INRA sur le sujet qui remontent aux années quatre-vingt, mais cela ne s’est pas imposé dans la panoplie des outils d’aide à la décision des arboriculteurs. Nous travaillons aujourd’hui à confirmer et développer les résultats des études d’alors” explique-t-il.
Avec probablement plusieurs raisons à cela, le coût du matériel en premier lieu, mais aussi l’absence de problématique urgente sur la ressource en eau. On est là dans les années quatre-vingt, rares sont ceux qui ont pu alors imaginer la situation dans laquelle se trouverait le bassin méditerranéen cette année. “J’ai monté ces programmes de recherche pour tenter de répondre à cette problématique de ressource, pour tenter d’imaginer ce qu’on peut faire pour produire des fruits dans un cadre restrictif comme vous le connaissez ce printemps dans les Pyrénées-Orientales” ajoute-t-il.
Invisible à l’œil nu
La dendrométrie consiste à mesurer la “respiration” des arbres. C’est une image. “C’est un capteur, en forme de tige, qui est posé sur l’arbre et qui va être capable de mesurer la déformation quotidienne de l’arbre. Pour comprendre, il faut imaginer que l’arbre ne cesse jamais de « boire » de l’eau, c’est vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Or, la nuit, la photosynthèse s’arrête, les feuilles ont les stomates fermées et l’arbre, alors, stocke l’eau dans ses tissus. Cela le déforme légèrement mais c’est naturellement invisible à l’œil nu, c’est de l’ordre du millième de millimètre. Le jour, par contre, avec la photosynthèse et l’évapotranspiration, l’arbre se « contracte » en somme” décrit-il.
La connaissance de ces valeurs permet de suivre le comportement de l’arbre. “Plus la contraction diurne est importante, plus l’arbre perd de l’eau, c’est comme cela que l’on peut détecter les situations de stress.” Mais ce n’est pas le seul enseignement à tirer de ces capteurs. “Cela permet aussi de mesurer en temps réel la croissance journalière des arbres qui est un très bon indicateur de stress. Si l’arbre ne grandit pas, c’est qu’il souffre.”
Réponse tangible
Dans ses expérimentations, il a complété le protocole avec une autre méthode capable, peut-être, de mieux pouvoir gérer les situations de pénuries d’eau. “Nous avons inclus dans les essais des modalités d’irrigation légèrement déficitaires. L’idée de ces modalités, c’est de déterminer jusqu’où les restrictions d’irrigation peuvent être absorbées à moindre coût par les vergers.” Peu popularisé encore en France, ce concept est déjà longuement étudié, notamment en Espagne. “Nous cherchons à déterminer quelles sont les périodes, en post-récolte principalement, pendant lesquelles on pourrait réduire les apports d’eau sous les besoins habituels des arbres sans peser sur les résultats économiques. On sait que priver d’eau les pêchers ou abricotiers de mai à juin conduit à la catastrophe, par contre, en juillet et août, une fois la cueillette terminée, cela peut être intéressant. Et ce peut aussi être une réponse tangible et solide à apporter à la société à l’heure où des restrictions sont en jeu. En pouvant montrer qu’on peut faire presque aussi bien avec beaucoup moins.” (voir encadré ci-dessous).
Pour autant, Baptiste Labeyrie ne pense pas que la dendrométrie soit aujourd’hui promise à un développement rapide. Il y a plusieurs écueils à cela. Le prix du capteur d’abord, il faudrait que plus de fournisseurs entrent sur le marché pour en faire baisser le prix unitaire mais aussi le fait qu’il renseigne sur ce qui se passe dans un arbre dans une situation donnée. “C’est-à-dire que si vous avez des vergers dans des endroits aux conditions différentes, il faut multiplier les capteurs pour avoir une idée précise.” Et avant toute chose, peut-être commencer par utiliser des sondes tensiométriques pour ne plus arroser au jugé mais sur la base d’informations objectives sur ce qui se passe dans le sol !
L’irrigation légèrement déficitaireEn mai 2022, sans prémonition, l’Agri a publié un papier sur l’irrigation légèrement déficitaire. Bruno Cheviron (Inrae Montpellier) y détaillait le concept. “Il faut se dire que dans certaines situations, on ne va pas obtenir plus de rendements en arrosant plus et regarder les choses différemment. Il s’agit de prendre en compte les variables de coûts (eau, électricité) qui font que le revenu maximum n’est pas forcément apporté par le rendement maximum. En calculant le revenu comme le prix net de la culture multiplié par le rendement, moins les coûts fixes et les coûts variables (coût de l’eau – pas encore dissuasif en France – et coût de l’énergie – qui le devient), on constate que le maximum du revenu est atteint pour un cumul d’irrigation inférieur à celui qui est nécessaire pour atteindre le maximum du rendement, ce qui est déjà une forme d’incitation. (…) Jusqu’ici, les paiements pour services environnementaux ont surtout privilégié le qualitatif et pas le quantitatif, pourtant c’est un levier possible important qui ne pénalise pas trop les irriguants et qui peut avoir un effet de seuil sur les débits ou les nappes en tension.” À vos calculettes ! |