Le coup de semonce du Boulou [par Yann Kerveno]

Une première manif qui en appelle d’autres. Les vignerons de la Région ont roulé des épaules au Boulou pour prévenir l’État. Et réclamé la visite de la première ministre Élisabeth Borne.

Les érudits des Pyrénées-Orientales savent que Le Boulou fut le théâtre d’une âpre mais historique bataille en 1794. Il s’agissait alors de bouter l’Espagnol hors de France, ce qui fut fait derechef. De là à tirer des ressemblances avec la manifestation de ce jeudi 19 octobre, il n’y a qu’un pas. Ils étaient environ 300 venus du département de l’Aude sous la férule de Frédéric Rouanet, président du Sydnicat des vignerons de l’Aude, mais aussi de l’Hérault, du Gard et, naturellement même si peu nombreux, des Pyrénées-Orientales. Déboulés au péage du Boulou sur le coup de 10 heures, ils ont tout de suite commencé de filtrer la circulation, organisant une file pour les voitures, une autre pour les camions, histoire d’avoir le temps de contrôler les citernes amenées à se présenter au péage. Les vignerons étaient aussi là pour empiler les revendications. Les dégâts de la sécheresse. “J’ai 35 hectares de vignes, j’ai récolté 26 tonnes de raisins” expliquait un vigneron de Sigean. “Même quand on a gelé la dernière fois, à 100 fois j’avais fait mieux.” Voilà pour le conjoncturel. Pour le structurel, il faut regarder ailleurs.

“La réponse de l’État n’est pas à la hauteur”

“La consommation baisse en France, les négociants achètent moins de vins ici, font pression sur les prix, mais il rentre toujours autant de vins espagnols sur notre territoire” faisait remarquer Frédéric Rouanet avant de rejoindre l’autoroute à pied à la tête de l’imposant cortège. Et puis il y a l’État, l’État qui n’écoute pas ou fait semblant de ne pas écouter comme le signalait David Drilles, président du syndicat des vignerons des Pyrénées-Orientales. Sans même parler de “l’assurance qui est caduque avant même d’avoir été utilisée par les vignerons parce que la moyenne olympique sur cinq années d’aléas ce n’est pas possible, les « de minimis » qui plafonnent les aides dont on a besoin, l’impossibilité d’avoir accès à une exonération totale de TFNB, des attaques contre la consommation de vin. La réponse de l’État n’est pas à la hauteur de la crise que nous traversons.” En attendant les aides et les exonérations, c’est l’exaspération qui prévaut face à des vins vendus en Espagne entre 18 et 35 euros l’hecto… “Ce n’est pourtant pas compliqué” faisait remarquer un autre vigneron un peu plus loin. “Si les négociants achètent à bas prix en Espagne, pourquoi, puisque les prix aux consommateurs ne baissent pas, ne consacrent-ils pas une part de cette marge confortable qu’ils réalisent à acheter plus cher le vin qu’ils nous retirent en moindre quantité ?” Imparable raisonnement.

Quatre camions interceptés

Pendant de temps là, à 300 mètres du péage, le tri des poids lourds a porté ses fruits. Une citerne est amenée, victime expiatoire bienvenue : 240 hectolitres de rosé à 11° en provenance d’Espagne et à destination de la maison Johanès Boubée à Nîmes, la maison de négoce du distributeur Carrefour… En attendant, c’est un camion de tomates cerises venues d’Espagne et à destination du marché allemand, qui avait été partiellement vidé de son contenu. Un troisième camion chargé de 10 000 bouteilles de Cava Freixenet, également à destination de l’Allemagne fut entièrement délesté de son chargement. Enfin, juste avant que Frédéric Rouanet siffle la fin de la partie à l’issue de la rencontre avec le préfet, c’est un camion de salades iceberg en provenance d’Espagne qui fut aussi partiellement vidé de son contenu sur la chaussée.

1976

“La bonne nouvelle c’est qu’il pourrait y avoir une aide à l’hectare pour la sécheresse, 1 000 euros pour les pertes de 50 à 100 % et 600 euros pour celles comprises entre 30 et 50 %. Mais nous allons faire comme Saint-Thomas, attendre de voir. Ce que l’État doit entendre, c’est que ce n’est que le début de notre mobilisation” prévenait le leader audois. La présence de Jacques Serre, vétéran de Montredon, dans les rangs de la délégation, vaut-elle pour avertissement ? Alors, en 1976, il était déjà question de baisse de la consommation en France et de concurrence déloyale des vins espagnols. Les manifestations s’étaient terminées tragiquement par la mort d’un vigneron et d’un CRS. Rendez-vous est pris après les vacances scolaires.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *