Jean-Marie Fabre : que 2024 soit une année de conquête !

Président des vignerons indépendants de France, Jean-Marie Fabre appelle à faire de 2024, l’année de la conquête et de l’investissement pour l’avenir.

Comment évaluez-vous la situation actuelle dans la filière ?
Le premier constat à dresser c’est qu’il y a un net besoin, depuis plusieurs années, de rééquilibrage entre ce que nous produisons et ce que nous commercialisons. Depuis dix ans, ce sont les aléas climatiques qui ont régulé le déséquilibre structurel qui affecte les trois principaux bassins de production de vins rouges. Je parle de Bordeaux, en grande difficulté depuis quatre ou cinq ans, de la vallée du Rhône où la situation s’est considérablement tendue, mais aussi chez nous, même si les souvenirs et l’histoire nous font peut-être éluder la question. Pour Bordeaux et la vallée du Rhône, il me semble que l’arrachage définitif est une solution parce que je ne vois pas comment ces vignobles peuvent repartir.
Mais le souci, c’est que depuis 2008, les outils de gestion de crise européens, dont l’arrachage définitif, n’existent plus. Nous sommes donc confrontés à cette absence d’outils pour véhiculer un arrachage définitif à mettre en œuvre rapidement, ce qui aurait permis de soulager le marché. Bordeaux a obtenu 10 000 hectares alors que c’est 30 000 qu’il aurait fallu. Et si nous parvenons à le réintégrer dans la PAC, ce ne sera pas avant 2027… L’autre solution, c’est l’arrachage temporaire avec plantation différée. Il aurait fallu que nous puissions en bénéficier pour cette campagne.

L’arrachage est souvent un mot que l’on prononce du bout des lèvres…
Il ne faut pas se tromper. Le but de l’arrachage, ce n’est pas de faire disparaître du vignoble, c’est de recréer de la valeur pour ceux qui restent et en particulier les vraqueurs. Les volumes qui sont distillés aujourd’hui sont précisément ceux qui sont candidats à l’arrachage. Nous mettons aujourd’hui en œuvre 3 millions d’hectolitres qu’on distille et cela ne provoque pas d’augmentation des importations, au contraire même, elles ont tendance à reculer ces trois dernières années. Et se jeter massivement dans la production de blanc. C’est un mirage, on aura les mêmes problèmes dans dix ans que ceux que nous avons aujourd’hui avec les rouges.

Vous prônez finalement une réduction conséquente de la production française…
Le temps est venu de rééquilibrer le marché. Oui, et pour ma partie, j’invite tous les vignerons indépendants à recalibrer leurs exploitations sur ce qu’ils sont à même de commercialiser, à produire ce qu’ils savent vendre en somme. Pour qu’ils ne dilapident pas la valeur qu’ils sont capables de capter avec ce qu’ils vendent en direct dans des produits qu’ils ne peuvent pas vendre seuls. Sauf si ces volumes sont contractualisés à des prix rémunérateurs.

Comment faire comprendre au ministère, à Bruxelles, que la filière réclamait de la distillation, puis des aides parce qu’il manque de production, puis de l’arrachage, le tout en un an et demi ?
C’est une question d’explications. Il faut faire comprendre à nos interlocuteurs que les vignobles sont différents, que les entreprises sont différentes, que tout ne va pas mal, que l’on n’est pas en présence de quelque chose de monolithique. Donc qu’il n’y a pas une seule solution aux problèmes auxquels nous sommes confrontés, qu’ils soient géopolitiques, économiques, climatiques, sociétaux, sur lesquels nous n’avons pas de prise.
Nous vivons depuis cinq ans une succession d’événements inenvisageables liés au changement climatique qui ne nous ont pas laissé le temps de nous adapter complètement, de résister. Mais d’un autre côté, nos bilans comptables sont plutôt bons, notre problème aujourd’hui, c’est la trésorerie…

Comment passer le cap ?
En nous donnant de l’air, et il y a plusieurs outils pour cela, l’année blanche, les prêts bonifiés, l’allégement de la pression fiscale… Et en investissant…

C’est-à-dire ?
L’année 2021, avec le gel, fut très traumatisante pour la filière, l’État fut au rendez-vous en amenant un milliard d’euros. Même si on est loin des douze milliards de pertes, l’État a répondu. Puis, en 2022, il y a eu l’enchaînement : la grêle, le gel et la sécheresse. Le milliard amené l’année d’avant a été mis à fonds perdus. Et je crois qu’il faut aujourd’hui considérer que l’aléa est devenu la norme et changer le fusil d’épaule. Personnellement, je ne suis pas favorable à un soutien permanent de la production et je préférerais que nous investissions dans la protection du vignoble, que l’État mette un milliard ou un milliard et demi par an pendant quatre ou cinq ans pour que les exploitations puissent se protéger au lieu d’être contraints de mettre un milliard par an pendant 30 ans…
Investir aujourd’hui, c’est nous permettre de limiter la casse, de ne pas perdre de marchés par rupture de production de subir des baisses de rendement de 10 % au lieu de 50 % Consolider les vendanges et la production, c’est consolider l’emploi, les rentrées fiscales… Il faut aussi nous aider à aller à l’export, là où la consommation peut se développer et en comptant sur la belle image des vins français…

Comment envisagez-vous 2024 ?
L’export, c’est – 6 à – 7 % cette année à cause de l’inflation, la grande distribution, c’est – 17 % sur les foires aux vins et globalement, sur l’année, c’est – 7 à -9 %, les cavistes sont aussi en grande difficulté pour près d’un quart d’entre eux. À l’opposé, ce que nous constatons pour les vignerons indépendants, et en particulier sur les salons, c’est + 12 % en fréquentation et + 10 % en chiffre d’affaires. J’y vois la preuve que notre modèle, qui représente aujourd’hui 58 % de la production viticole en France, apporte la réassurance dont le consommateur a besoin, par le circuit court et peut-être aussi un côté artisanal, le lien entre consommateur et produits. C’est encourageant.
Et 2024 doit être l’année de la consolidation économique, de la prévention du réchauffement climatique et de la grande conquête de marchés à l’étranger.

Propos recueillis par Yann Kerveno

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