Ils ont bien fait ! (Par Jean-Paul Pelras)

Evidemment, il y a ceux qui s’indignent en condamnant la destruction de denrées alimentaires. Evidemment, il y a ceux qui préfèrent ne rien dire car ils auraient pu mieux faire. Evidemment, il y a ceux qui dénoncent une entrave à la libre circulation des marchandises provenant de l’autre côté de la frontière.

Les premiers ne savent certainement pas ce qu’il en coûte de voir leur entreprise et leur avenir menacés par le jeu des distorsions sociales, fiscales, environnementales. Les seconds ont compris qu’une action portée par « la base », celle du terrain et du désespoir, vaut mieux que 50 courbettes protocolaires agitées par « les visiteurs du soir ». Les troisièmes enfin, savent qu’ils sont les grands gagnants de ces compétitions déloyales, avec un smic à 1747 euros en France alors que, même s’il a été nettement réévalué ces dernières années, il est encore de 1260 euros en Espagne.

En trois décennies, la production de vin espagnole est passée de 25 millions d’hectolitres à plus de 35 millions, alors que la France dégringolait d’environ 70 millions d’hectos à 46 millions en 2022, avec un effondrement des volumes en 2021 (33 millions d’hectos). A titre d’exemple, la viticulture roussillonnaise est passée, dans ce laps de temps, de plus de 2 millions d’hectolitres à moins de 400 000 …)

Comme souvent depuis presque un demi-siècle, il y a donc ceux qui manifestent, qui ouvrent les vannes des citernes, font tomber les palettes sur le bitume, bloquent la circulation, jouent au chat et à la souris avec les gardes du cardinal de service, contrôlent les marchandises importées, luttent, comme ils le peuvent, contre vents et préfets.

Comme souvent, les politiques regardent, attendent que la colère retombe. Et savent que rien ne viendra interrompre le mouvement de balancier initié en 1957 avec un Traité de Rome où, pour construire l’Europe, il fallait des gagnants et des perdants, des épargnés et des sacrifiés. Les fruits, les légumes et le vin, à fortiori produits en Languedoc Roussillon et dans des départements transfrontaliers, ont été doublement impactés par cette redistribution puisqu’ils ne bénéficient que très peu des aides PAC, chasse gardée du secteur des grandes cultures. Question à ne jamais aborder rue de la Baume ou de la Boétie sous peine d’excommunication et de procès en félonie.

Pays perdu

Résultat des courses, pilonnés d’un côté par le joug exponentiel des importations et dépourvu d’amortisseur financier de l’autre, ce qui devait arriver arriva avec une déprise sociale, territoriale et économique inédite dans l’histoire de l’agriculture méditerranéenne française.

Qui, parmi ceux qui s’indignent pour quelques tonnes de tomates ou quelques hectolitres de vin déversés sur la chaussée pourrait supporter de voir sa profession menacée par un pays concurrent car, tenant du moins disant social, il vient usurper son emploi, rafler son marché, dévaloriser son métier ? Imaginons, pour citer une partie de la population, la réaction des employés du service public français si, demain, une loi autorisait leurs homologues Espagnols, Italiens ou Portugais à les remplacer là où ils ont perpétué ce qui leur fut transmis, là où ils ont fondé leurs familles, construit leurs maisons, établi leurs situations.  

Pour prendre la mesure de cette paupérisation, il suffit de parcourir nos campagnes et de voir ce qu’elles sont devenues partout où la friche l’emporte désormais sur ce qui faisait la fierté de nos territoires, de nos villages et de ceux qui y vivaient. Je le redis ici comme je l’ai écrit des centaines de fois, nos départements sont en train de ressembler à ces pays perdus où le régime de la baignoire abandonnée et du pneu crevé n’est pas sans rappeler le Deep South de Faulkner ou le Tobacco road de Caldwell. Avec les paysans qui s’en vont, car les politiques ont préféré l’abdication au courage, c’est le monde rural qui plie boutique, abandonnant aux dogmes écologistes, aux ronces et aux genets tout ce que nos anciens, pierre après pierre, siècle après siècle, ont édifié. Il y aurait tant à écrire encore et encore. Car que sont quelques palettes et quelques hectolitres de vins versés comparé au désastre auquel les agriculteurs du Midi sont confrontés ?

Parce que je viens de là et parce que je sais que le syndicalisme agricole doit se faire entendre, autrement que sous les lustres à facettes des salons feutrés, s’il veut été écouté, je peux me permette de dire, sans trembler, à quelques semaines de ranger le stylo et de céder le clavier, que ceux qui ont fait « ça », ont bien fait !

(Photo Yann Kerveno/ Journal L’Agri)

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