Agriculteur agressé : une compassion médiatique à géométrie variable [par Jean-Paul Pelras]

Comment passer à côté de l’info tant elle fut commentée ces derniers jours par la quasi-totalité des médias français : Paul François, céréalier lanceur d’alerte, fondateur de l’association Phyto victimes, connu pour son combat mené contre Monsanto, a été frappé et ligoté par 3 personnes dans son garage à Bernac au Nord d’Angoulême. “On en a marre de t’entendre et de voir ta gueule à la télé” auraient, selon l’avocat de la victime, lancé les agresseurs.

Des coupables qui doivent être clairement identifiés et un acte qui doit être condamné avec la plus grande fermeté. Tout comme, à bien y regarder, ceux commis un peu partout sur le territoire depuis quelques années à l’encontre d’autres agriculteurs n’ayant pas pu bénéficier du même traitement médiatique. Peut-être car leur cause n’était pas politiquement, voire écologiquement, suffisamment correcte. Peut-être car celui qui fut passé à tabac sur son tracteur dans l’Ain en 2019 n’aurait pas dû désherber une parcelle d’orge, peut-être car celui qui s’est fait tabasser en 2020 dans une mairie de la Sarthe avait eu, la veille, la mauvaise idée d’épandre du lisier dans son champ, peut-être que cet autre menacé en 2018 par un fusil, à 10 heures du soir, n’aurait jamais dû sulfater ses vignes contre le mildiou dans les bouches du Rhône, peut-être car, ces jours-ci, un agriculteur intimidé par une correspondance anonyme a poussé la maladresse jusqu’à oser élever des vaches sur ses prés dans les Yvelines, ses voisins dénonçant “une ruralité lourde et déplaisante qui n’a plus sa place ici”

Et ainsi de suite avec un jeune éleveur en Dordogne, des agriculteurs dans l’Aude et des exemples de violence gratuite ou d’intimidation récurrente qui font le quotidien du monde paysan confronté à une stigmatisation banalisée, de surcroît influencée par le discours ambiant.
L’agression de celui qui sort son tracteur pour sulfater, épandre ou labourer doit-elle être traitée avec moins d’attention et de compassion ? Faut-il davantage considérer et évoquer le sort de celui qui a osé se dresser contre les intérêts d’une multinationale marchande de produits chimiques ? C’est de toute évidence ce qui est en train de se passer avec une médiatisation à géométrie variable des violences exercées à l’encontre des agriculteurs.
Loin de toute influence médiatique, idéologique, politique…

Qu’il faille évoquer l’agression de Paul François est indiscutable. Mais il faut le faire dans les mêmes proportions et avec la même couverture pour toutes celles et ceux qui sont agressés quotidiennement sur leur lieu de travail, que ce soit car leur méthode ne convient pas ou pour d’autres raisons tout autant inexcusables. Si, alors que les plaintes n’ont pas encore été déposées, le soupçon journalistique suggère et désigne plus ou moins implicitement les coupables ou du moins les raisons qui ont motivé leurs gestes lamentables, le procès est d’emblée orienté.
Dans ce contexte, personne ne peut plus, par ailleurs, nier le malaise agricole et les drames humains qui en découlent. Combien de paysans insultés par des passants, par des cyclistes qui se bouchent le nez et lancent des bras d’honneur, par d’autres qui saccagent les propriétés, s’introduisent dans les étables ou se servent impunément, comme on va faire son marché, dans les vergers, dans les vignes, dans les champs ? Combien de plaintes déposées qui n’aboutissent jamais, combien de cultivateurs résignés, combien qui préfèrent abandonner ? Des centaines chaque année !

Alors oui, la justice doit poursuivre et punir sévèrement ceux qui ont agressé Paul François. Comme elle doit, avec la même intensité, sévir à l’encontre de ceux qui s’en prennent aux paysans moqués, désignés, vilipendés, brutalisés, calomniés, uniquement car ils osent faire leur métier.
Loin de toute influence médiatique, idéologique, politique, le débat qui divise aujourd’hui notre société sur le modèle agricole à plébisciter n’a pas à être orienté par l’émotion. Il doit tenir compte des enjeux qui attendent notre agriculture, toutes pratiques confondues, seule capable de garantir qualitativement et quantitativement notre alimentation.

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