Ils m’ont filé la Légion d’honneur ! [par Jean-Marc Majeau]

Alors que je goûtais une sieste méritée, un peu abasourdi par la prise d’antalgiques destinés à me débarrasser d’un torticolis acquis il y a quatre mois, suite à un accident de vélo, j’entends taper à la porte. Deux gendarmes en uniforme sont là, casquette vissée sur la tête. En général, en dehors des visites de mon grand-père, ex-colonel de gendarmerie, la venue à mon domicile de gens de la maréchaussée n’est jamais de bon augure.  Après les salutations d’usage, le plus grand d’entre eux me tend un courrier que je m’empresse d’ouvrir. “Monsieur, eu égard à votre engagement pour le dépistage du cancer du côlon, et sur proposition de Madame Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, nous vous prions de trouver ci-joint, l’ordre de nomination au grade de chevalier de la Légion d’honneur…” Merde ! Mais c’est quoi cette connerie ? Je n’ai rien demandé moi ! J’essaye d’obtenir des pandores une explication rationnelle. D’après eux, n’obtiennent ce trophée que les personnes ayant fait des actes héroïques ou utiles pour la nation. Il leur semble que mon Tour de France en faveur du dépistage du cancer en ferait partie. Effectuer 3 000 kms en vélo, obliger les politiques à signer des décrets d’application d’une campagne de prévention basée sur un test simple, ciblé, gratuit, pour des personnes de 50 à 75 ans, concernant une maladie responsable d’un mort toutes les 20 minutes, évitant selon les algorithmes, 8 000 morts par an. Tout ceci serait digne d’une distinction, même tardive. Le plus jeune des deux souligne qu’au total, depuis 2006, la somme cumulée des personnes “sauvées” par ce test est considérable : 115 000 au bas mot. Soit plus encore que le bilan mortifère de l’épidémie de Covid. Oui mais. Pour que ce dépistage soit efficace, encore eut-il fallut qu’il fût fait. Et c’est loin d’avoir été le cas. On considère que, pour obtenir l’efficacité potentielle, il faut impérativement qu’au moins 75 % de ceux qui y sont invités répondent à la sollicitation. Or, malgré plusieurs entrevues avec la ministre à l’époque, jamais je n’ai pu obtenir que la publicité suffisante soit offerte à ce test. Elle m’avait répondu qu’on ne pourrait jamais obliger les gens à s’auto tester. Des journalistes, spécialisés dans les questions médicales, avaient soutenu qu’il n’était pas de leur ressort de promouvoir une technique médicale qui dépendait d’un souhait librement consenti. De fait, sans promotion, sans volonté, y compris concernant un procédé utile, l’adhésion populaire ne pouvait être au rendez-vous. D’où l’échec relatif du travail que j’avais entrepris. 

Que des gens avec qui je n’ai rien à partager

Quoiqu’il en soit, une fois leur devoir accompli, nos deux militaires prirent congé, me laissant avec le papier ministériel entre les doigts. Mais nom de Dieu, pourquoi ça tombe sur moi ? Il est dit que l’on peut refuser ce type de distinction. J’ai même prétendu que c’était un honneur que de le faire. Mais, comme disait Érik Satie “Il ne suffit pas de refuser la Légion d’Honneur. Encore faut-il ne pas la mériter”. Or, là est le problème : recevoir cet insigne, même à son corps défendant, est une injure faite à mon intégrité ! Napoléon, créateur de la “rosette”, ne s’y trompait pas : “c’est avec des hochets qu’on mène les hommes”. Même si je n’ai aucune intention de répondre favorablement à la proposition, pourrais-je continuer à donner un avis libre et indépendant dès lors qu’une marque de connivence sera venue s’immiscer entre moi et le monde que je ne cesse de fustiger ? Coluche prétendait que s’il était destinataire de cette décoration, il irait la chercher en slip pour qu’ils ne sachent pas où la lui épingler. C’est une idée. En tous cas, il faudra trouver très vite une solution. La première d’entre elles étant d’éviter la publicité ! Le pire serait que mes amis ne l’apprennent ! C’est alors qu’un bruit sourd retentit. Émergeant d’un sommeil pâteux et agité, je me retrouvais là, étendu sur mon siège, sans la moindre lettre officielle alentour ! Dieu soit loué : c’était un cauchemar ! Roselyne n’a rien demandé ! La rosette n’est pas pour moi. Les gendarmes ne sont jamais venus ! Je l’ai échappé belle ! D’autant plus que j’avais lu, le matin même, dans le flux d’infos qui nous arrivent en permanence, qu’Agnès Buzin, faisait partie de la promotion 2022. Comme le préfet Lallement en juillet 2021, ou Maitre Laffont, avocate de Benalla. Que des gens avec qui je n’ai rien à partager, et dont les nominations sont, à mes yeux, une offense à la démocratie ! Mais, c’est bien connu, “Les décorations, c’est comme les bombes : ça tombe, bien souvent, sur quelqu’un qui ne les mérite pas” (Pierre Desproges).

Une réflexion sur “Ils m’ont filé la Légion d’honneur ! [par Jean-Marc Majeau]

  • 6 janvier 2022 à 21 h 22 min
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    Sympathique article, comme souvent d ailleurs.
    Félicitations pour ce que vous avez fait, mais je suis au regret de vous dire que cette distinction vous l auriez méritée bien plus que l immense majorité qui la reçoive. Je n ose même pas parler de Mme Bizin, courageuse éphémère ministre de la santé qui a préféré quitter ses fonctions juste avant la pandémie…

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