Fruits d’été : le prix de la sécheresse et celui du marché [par Yan Kerveno]

Au sortir de la saison des fruits d’été, il n’est pas inutile de regarder un peu en arrière pour se rendre compte que le pire a peut-être été évité. Mais des questions demeurent.

“L’épisode le plus marquant de la saison, c’est la grêle de fin juillet qui est tombée sur le secteur de Millas à Ille. Cela a fortement impacté certaines exploitations mais globalement, l’effet a été limité” précise Éric Hostalnou, chef du service Fruits et Légumes à la Chambre d’agriculture. La production du département devrait donc atteindre 50 000 à 60 000 tonnes cette année. Celle d’abricots 13 000 à 15 000 tonnes selon ses estimations. Le retour de l’eau dans les canaux dans le cadre des restrictions, une fois les barrages de Vinça et des Bouillouses pleins fin juin, aura permis de mener à bien cette campagne pourtant bien mal engagée au printemps. À Bouleternère, Jean-Pierre Bails (La Melba) confirme. “Le manque d’eau à des moments critiques, comme la division cellulaire par exemple, a pesé lourd. Ajoutez à cela qu’il y avait beaucoup de fruits, c’est sur le calibre que se concentrent les conséquences.”

Avec cette épineuse question posée par la nature au printemps, faut-il éclaircir ou pas ? “Il y a peut-être eu un manque d’éclaircissage” souligne Éric Hostalnou. “Mais les décisions n’étaient pas simples à prendre. Il y avait la peur de ne rien récolter du tout en éclaircissant trop si la situation perdurait, la tentation de tout laisser sur l’arbre pour laisser faire la nature…”

Pêches plates

Du côté des prix, partis sur des bases relativement élevées au mois de juin, à hauteur de la campagne précédente, ils ont été revus à la baisse assez rapidement. “Plusieurs facteurs ont joué cet été, la présence très forte de l’Espagne, bien sûr, mais aussi l’inflation qui a pesé sur les ventes” analyse Jean-Pierre Bails qui confirme les difficultés rencontrées tout au long de la campagne pour écouler les fruits. Au titre des handicaps de l’année, Jean François Not (Ille Fruits), ajoute “la forte concurrence des pêches plates espagnoles, l’importante récolte d’abricots et les stocks constitués qui, qu’on le veuille ou non, ont pris des parts de marché aux pêches – nectarines et le recul de la consommation.”

Stocks

Au final, si le prix moyen payé au producteur était au-dessus de l’euro l’an passé dans une belle campagne, Jean-Pierre Baills estime qu’il sera sous cette barre fatidique cette année, sous la double influence du calibre et de la pression du marché. Il y a aussi des inquiétudes du côté des producteurs quant aux écarts de tris. “Les entreprises ont stocké tout l’été, parfois des lots ont dû être repris parce qu’ils sont restés deux ou trois semaines en frigo, parce que la demande n’a pas été suffisamment dynamique cet été” explique encore Éric Hostalnou. “Depuis trois ou quatre ans, nous vivions des campagnes particulières avec des accidents climatiques importants qui mettaient le marché en situation de déficit de production. Cette année, nous sommes revenus à un niveau de production normal, habituel, d’où les difficultés.”

Gérer intelligemment

Pour autant, malheureusement, les arboriculteurs de la zone d’Espira et de Rivesaltes n’ont pas le luxe de se plaindre des calibres. Pour eux, sans eau et avec également un passage de grêle, l’année est proprement catastrophique, avec en filigrane la menace sur les vergers à sec depuis trop longtemps. Reste à espérer que cet avertissement “presque sans frais” comme le qualifie Éric Hostalnou fasse enfin bouger les lignes.
“Le sujet de cet automne, c’est l’eau. On se retrouve dans une situation paradoxale ou début septembre le lac de Vinça n’est pas vide et qu’il reste 13 millions de mètres cubes aux Bouillouses” fait encore remarquer Jean-François Not. “Il faut donc maintenant réfléchir à comment gérer plus intelligemment l’eau dont nous disposons et faire avancer les autres projets de conservation de la ressource.”


Espira : le pire du pire

C’est dans le triangle Estagel, Rivesaltes Fitou que la sécheresse a frappé le plus fort cette année. Et le bilan est loin d’être définitif.

“Il faudra attendre le printemps et le redémarrage pour faire un bilan précis mais là, dans la zone Espira – Rivesaltes sur le territoire de notre ASA, on est entre 30 et 50 % de mortalité dans les vergers. Et s’il ne pleut pas rapidement, cela peut continuer de s’aggraver” détaille Guy Banyuls. Arboriculteur à Espira, c’est sur son exploitation que le ministre de l’Agriculure s’était rendu en mai dernier pour prendre la mesure. Dans le secteur, il n’a pas plu, l’Agly ne coule plus et ne remplit pas sa mission de recharge des nappes, privant les ASA d’eau. Et même la grêle s’en est mêlée. “On a des arbres qui sont déjà complètement secs, d’autres qui souffrent et qui ne tiendront certainement pas, ne seront pas récupérables, même s’il pleut.”

Du côté des vignes, Guy Banyuls en a aussi, la mortalité est aussi d’actualité, en particulier dans les plantiers. “Même en me débrouillant pour arroser, je suis entre 10 et 20 % de pertes alors que sur une année normale, ça ne dépasse pas 5 %. Mais ici, où qu’on soit, tout le monde a reçu.” À l’heure de le dresser, le bilan de campagne est vite bouclé. “Chez moi, j’ai perdu tous les fruits des vergers en sec, et les fruits que j’avais sur les vergers arrosés ont été détruits par la grêle. J’ai perdu 90 % de le récolte, c’est très difficile” témoigne-t-il. Pour les aides, seul le déblocage des cotisations partielles de la MSA a été mis en œuvre détaille-t-il, “mais j’ai entendu que les services de l’État refont un tour avant de finaliser les dossiers, mais on ne sait pas ce que nous aurons.” Et pour après ? Replanter de l’abricot ? “Personne ne sait vraiment quoi faire aujourd’hui tant qu’on n’a pas d’eau. Et ce n’est pas prévu pour les prochaines semaines… Est-ce qu’on replante des vergers, est-ce qu’on attend quelques années pour voir ce qui se passe ? On ne peut pas vraiment décider…” À moins de faire des paris. Forcément risqués.

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