Eau : Et maintenant ? (Par Yann Kerveno)

Comme pressenti, le Tribunal administratif de Montpellier a suivi les conclusions du rapporteur et annule les arrêtés préfectoraux qui fixaient le débit réservé de la Têt. La balle est dans le camp de l’État et du Ministère de la transition écologique…

Il y avait un peu d’ironie à tenir conférence de presse sous une pluie fine lundi matin afin de dénoncer le jugement rendu par le tribunal administratif de Montpellier à propos des débits réservés de la Têt. Mais pour la profession agricole, pas question de relâcher la pression sur l’État qu’elle enjoint à faire appel de la décision qui devait être rendue publique en milieu de semaine. Que disent les juges ? En substance, le document compte 13 pages, que les arrêtés pris par le Préfet des Pyrénées-Orientales sont annulés et qu’il lui est demandé de prendre rapidement de nouveaux arrêtés conformes à la décision du tribunal. Dans la pratique, cela signifie que le débit réservé de la Têt, au droit du point T6 devra maintenant être de 1,5 m3 sans modulation, c’est-à-dire qu’il ne pourra pas descendre sous cette valeur à aucun moment quand l’arrêté cassé par le tribunal prévoyait un débit réservé de 1,2 m3 en moyenne sur l’année avec une dérogation à 0,6 m3 pendant la période la plus sévère de l’été. Il ne faut pas se bercer d’illusions commentait David Massot, « avec un été comme nous venons de vivre, la rivière ne sera jamais à ce niveau de débit et nous risquons de nous trouver dans la même situation que le Tech qui n’a pas de réserves, à devoir organiser des tours d’eau, alors que la Têt a deux réservoirs, c’est absurde ! »

Périls

Des tours d’eau qui mettent en péril les réseaux sous pression largement développés dans les vergers en aval de Vinça. « Le goutte-à-goutte dont nous sommes équipés permet d’irriguer peu mais il faut irriguer tous les jours » ajoutait l’arboriculteur « et nous avons fait la preuve que nous pouvons faire en sorte que tout se passe bien. » Fabienne Bonet présidente de la Chambre d’agriculture relevait que ces attaques contre l’agriculture des Pyrénées-Orientales venaient de l’extérieur, d’associations « qui ne sont même pas du département et veulent nous donner des leçons » avant de fustiger la vision à l’œuvre qui « ne prend pas en compte le contexte des rivières méditerranéennes et ne fait aucun cas de ce que nous avons fait cet été en parvenant d’une part à préserver l’irrigation mais aussi en soutenant, avec les réseaux secondaires le niveau des nappes phréatiques de la plaine du Roussillon, l’alimentation en eau potable, parce qu’une grande partie de l’eau détournée de la Têt retourne au milieu ou à la rivière. »

Les poissons

Bruno Vila, président de la FDSEA des Pyrénées-Orientales renchérissait : « On va privilégier le bien-être des poissons dans une rivière qui ne coulerait pas s’il elle n’était pas gérée comme nous le faisons. Et au mépris des productions agricoles et des 1 500 agriculteurs qui dépendent de ces réseaux ? Il va falloir finir par être cohérent, on ne peut pas nous rabâcher d’un côté qu’il faut renforcer notre souveraineté alimentaire, en particulier en fruit et légumes, et de l’autre nous empêcher de travailler… » Avec ses vergers et le maraîchage, la zone concernée par les six canaux soumis à ces nouveaux débits génère un chiffre d’affaires approchant les 200 M€ « Si on laisse faire les associations environnementales comme on le voit dans les Deux Sèvres, alors il ne faudra pas être surpris de voir se lever une révolte paysanne comme on a déjà connu » abondait pour sa part Pierre Hilary, président des Jeunes Agriculteurs. Pour France Nature Environnement, l’agriculture des Pyrénées-Orientales pourra très bien s’en sortir avec ce débit réservé. Comment ?

Mémoire

« En faisant plus d’économie, on peut continuer à irriguer comme on le fait en laissant plus d’eau dans la Têt » avance Olivier Gourbinot, rédacteur du mémoire qui conduit à cette décision de la justice. Et se défend de toute surenchère. « Nous demandons juste à ce que soient appliquées les règles qui découlent l’étude des volumes prélevables réalisée en 2011 qui indique que le débit ne doit pas descendre sous 1,8 m3 au point T6. Étude a aussi fixé le débit de survie des espèces à 0,9 m3. » La balle est maintenant dans le camp du Préfet, ou plus exactement du Ministère de la transition écologique qui peut faire appel de la décision du tribunal. Mais elle est aussi dans le camp des associations de défense de l’environnement a qui auront du mal à faire valoir leur bonne foi envers l’agriculture si elles s’opposent, dans les années à venir, au développement de stockages… Si l’eau n’a pas de mémoire, le monde agricole, lui, en a.

 

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