E Pericoloso Sporgersi (Par Jean-Paul Pelras)
Les trains changent et les vaches restent. Ainsi pourrait-on résumer ce qu’est devenu le charme du transport ferroviaire et celui des michelines ou de ces wagons couchettes qui sillonnaient la campagne à l’heure ou, au début du Cercle rouge, Gian Maria Volonte échappe à la vigilance de Bourvil. Aujourd’hui, le train relie les gares en essayant de nous y conduire le plus rapidement possible avec, à notre disposition, des plateaux repas sous cellophane et des prises pour brancher nos ordinateurs. En revanche, plus de petits cadres suspendus entre les sièges en moleskine et le filet à bagage représentant Rocamadour, le Viaduc de Garabit ou le Mont Saint Michel. Plus de militaires en permission fumant dans le couloir, plus de bonnes sœurs dans la promiscuité de ces compartiments où nous mastiquions, sur la route des vacances, quelque part entre le Bousquet d’Orb et Séverac le Château, des sandwiches au jambonneau préparés la veille et soigneusement pliés dans du papier aluminium. Finies les aventures de hasard derrière ces épais rideaux en rase campagne où, sur des quais de gare et dans une lumière d’aquarium, tant de couples improbables se sont arrangés dans la nuit. Adieu wagons-restaurants, terrines campagnardes, omelettes aux cèpes et bouchées à la reine Paris-Clermont. Et puis rappelez-vous, entre la tablette et la vitre: E pericoloso sporgersi. Combien de fois avons-nous lu et relu cette phrase qui appartient à la mémoire collective des voyageurs ? Oui, combien de fois nous sommes nous répété cette inscription en passant dans le Beaujolais ou en traversant la Sologne, le front collé à la vitre dans les trépidations saccadées d’un train qui nous éloignait des nôtres ou nous rapprochait d’eux ? Là, dans le spectacle toujours renouvelé de ces itinéraires aux coulisses bordées de jardins ouvriers, de petites villas sagement clôturées, de lagunes et de barques qui jamais ne quittaient l’étang.