Des rails découpés au chalumeau [par Jean-Paul Pelras]
Le 25 janvier 1982. Journée agriculture morte. Ce jour-là, les salades sont restées au champ et les rideaux, que ce soit dans le secteur para-agricole comme chez de nombreux commerçants, sont restés baissés. Prudent, le marché Saint Charles s’est gardé d’effectuer toute opération, la Guardia civil ayant, de surcroit, stoppé le trafic routier entre Gérone et Valence. Il n’y a pas eu non plus d’expédition par train et aucune opération douanière n’a été effectuée.
Les mercuriales en salade étaient désastreuses et le maraichage roussillonnais peinait à se relever d’un sinistre neige qui avait, l’année précédente (1981), anéanti 400 hectares de serres. Des rassemblements d’agriculteurs furent mis en place à Elne et au Boulou où il fut décidé de couper la voie ferrée desservant la gare par où transitaient les marchandises importées.
Découpés au chalumeau, pas moins de 800 mètres de rails furent arrachés, tirés par les tracteurs et soulevés, retournés à la force des bras par plus de 200 paysans. Le cortège s’est ensuite dirigé vers la préfecture où 3 000 producteurs venaient de converger pour exprimer leur mécontentement. Quelques mètres de rail arrachés avaient même étés tirés derrière les tracteurs depuis la voie ferrée jusque sous les fenêtres du préfet. En tombant, une portion de rail endommagea la guérite républicaine quai Sadi Carnot, tandis qu’une voiture de police était renversée. Sur les banderoles on pouvait lire « Cresson démission », une caricature représentant une autruche était dédiée à celle qui, avant de devenir Première ministre quelques années plus tard, fut également ministre de l’Agriculture entre 1981 et 1983.
Cette année-là, comme lors des décennies suivantes et jusqu’à ces jours-ci, presque invariablement, l’histoire agricole du département des P.-O. s’inscrit dans un perpétuel recommencement.
Les routiers avaient pris les devants, bloquant eux même la frontière côté espagnol pour anticiper et probablement éviter tout affrontement. L’un d’eux, bloqué dans un bar à la frontière, confiait à nos confrères de L’Indépendant : « Ça ne sert à rien de s’énerver. Marché commun ou pas, nous continuerons à exporter nos produits. Si nous y entrons, peut être que nous pourrons payer les Mercedes moins cher, c’est tout. De toutes façons, si on nous brule les camions, c’est vous qui les paierez. Alors … » Un autre devait rajouter : « Il y a des jours comme ça. Des fois c’est la neige, des fois ce sont les agriculteurs Français ».
Quelques jours plus tôt, s’était tenue la 22e AG du CDJA des P.-O. avec une affluence record. Andrée Ey, présidente de la Commission fruits et légumes déclarait : « Non à l’entrée de l’Espagne et du Portugal en 1984. La corrida ne se terminera pas par une mise à mort. »
En 40 ans le volume des productions agricoles roussillonnaises allait être divisé par quatre. Le nombre de camions chargées de marchandises importées en provenance du sud de l’Europe ou du Maghreb allait être multiplié par cinq !
Certains passages de cette chronique sont extraits du livre « Ceux qui dérangent et ceux qui s’arrangent » publié en 1999 aux Éditions Trabucaire.