Bagarre salle 506 ! [par Jean-Paul Pelras]

CAF : trois lettres qui désignent le Club Alpin Français et, entre autres organismes, la Caisse d’Allocation Familiales, sans oublier et beaucoup l’ignorent, le Conseil de l’Agriculture Française. Kesako ? Il s’agit d’une sorte de comité Théodule créé en 1966, censé réunir, sous l’égide de la FNSEA-JA et déclinée par les FDSEA locales, le syndicalisme à vocation générale, la Confédération des organisations économiques mutualistes (CNMCCA), la coopération, la mutualité, le Crédit Agricole et les Chambres d’agriculture. Sorte d’union sacrée imaginée voilà une soixantaine d’années pour servir de courroie de transmission entre l’agriculture et les pouvoirs publics. D’où peut être le terme de « cogestion » employé par la suite pour désigner quelques rapprochements entre certains organismes champêtres et l’État.

Nous sommes au tout début des années 2000 dans les Pyrénées-Orientales. Un CAF est organisé au cinquième étage de la Chambre d’Agriculture, salle 506, réputée pour accueillir les sessions de l’établissement consulaire. Étrangement, les Jeunes Agriculteurs ne sont pas invités ce jour-là, à la rencontre où se prennent d’ordinaire les « grandes décisions ». L’information transpire, le président du CDJA, Dominique Durand, n’entend pas rester à la porte. Il convoque son conseil d’administration et me passe un coup de fil (j’étais alors président du Syndicat des Maraîchers) pour me convier à ladite réunion. Et nous voilà, faisant irruption parmi les strapontins d’une pièce où phosphoraient sagement le ban et l’arrière-ban de la représentation agricole départementale.

Épisode inédit que celui où l’effet de surprise dégénéra en bagarre générale, avec des noms d’oiseaux proférés à l’endroit de ceux qui n’avaient pas été invités ou qui, comme moi, n’avaient, soi-disant, rien à faire là. Nous assistons alors à un déplacement intempestif du mobilier, quelques gifles se promènent, une dame hurle, une paire de lunettes atterrit derrière un pilier, un homme protégeant son visage à l’aide d’une sacoche court se réfugier dans les WC, d’autres tentent de s’abriter sous les tables.
Une réaction, que nous qualifierons de spontanée et d’épidermique, qui ne suscita, précisons-le tout de même, aucune hospitalisation… Simple petite explication de texte « à l’ancienne », certes un tantinet rugueuse mais bonne enfant, censée remettre un peu d’ordre dans les relations qui doivent exister entre responsables agricoles et paysans.

Un quart de siècle s’est écoulé depuis ce « dérangement ». Je ne sais même plus pourquoi le CAF se réunissait ce jour-là et encore moins pourquoi l’avait-il fait de façon sélective. Les Jeunes Agriculteurs et les maraîchers étaient-ils devenus trop incontrôlables ? Peut-être ! Ou bien fallait-il désigner, plus ou moins clandestinement, ceux qui allaient être invités à rejoindre ou à quitter la table ? Bien évidemment écourtée, la réunion se termina dans la rue, avenue de Grande Bretagne, où les protagonistes ont eu à surmonter la seconde mi-temps. En l’occurrence une benne de tomates en guise de tapis rouge déversée sur les marches devant l’entrée. Le lendemain, sur le Marché de production, les commentaires allaient bon train, de toute évidence plus enclins à la satisfaction qu’à l’indignation. Certains évoquant une « action à la Benichou » pour emprunter au blase du célèbre boxeur.
Les années ont passé, je revois les visages. Beaucoup, hélas, ne sont plus là. Et je suis sûr que si tous ces gens se retrouvaient dans la salle 506 pour évoquer cet épisode, qu’ils aient fait ou non partie de ceux qui étaient invités au CAF, ils se souviendraient en souriant de l’anecdote. Ils s’en souviendraient en se disant, car ils ont tous, à leur façon, appartenu à l’histoire agricole de notre département : « Putain, quand même, quelle époque ! »

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