Des larmes… [par J.-A. Donat]

Des larmes ont commencé de jaillir. Tout doucement d’abord elles avaient brouillé ses yeux puis, de manière irrépressible, avaient glissé le long de ses joues. Les vannes s’étaient alors ouvertes tandis qu’elle prenait place sur un siège dans cette petite salle réservée à l’observation. Des larmes transformées en sanglots, silencieusement mais ostensiblement. Alors, honteuse du spectacle qu’elle offrait ainsi aux regards, elle avait bredouillé quelques mots, pour s’excuser. Non, non, ce n’était pas parce que ça faisait mal, c’était l’émotion. “Et bien, ma jeune dame, vous êtes bien déprimée, vous !” lui avait adressé un observateur involontaire de la scène. Que lui répondre, que lui dire ou expliquer quand tout ici semble si décontracté, à la limite de la désinvolture ?
Dans sa tête, tout se bouscule, comment elle avait affronté vaillamment ce premier confinement, assumant tout quand tous restaient sidérés : l’école à la maison pour les deux enfants, leur apprentissage à la couture avec la confection de masques dans les bouts de tissu les plus gais et colorés trouvés au fond des placards. Transformer tout en jeu pour limiter l’angoisse à la maison, confectionner le pain et des repas ensoleillés grâce aux bocaux de l’été précédent, en cuisiner trop ou en tous cas suffisamment, pour en porter à la voisine et aux esseulés de proximité. Travailler à la maison, gérer son équipe à distance en la réconfortant au mieux, chanter, danser, les fenêtres ouvertes pour mieux affirmer que la vie est là quand, à la porte à côté, au Centre Alzheimer, les fourgons défilent emportant les dépouilles dans des cercueils plombés. Se rendre à pied au bureau pour les incontournables journées en “présentiel”, même s’il pleut et qu’il faut une bonne heure aller-retour. Se sentir privilégiée de ne pas avoir à prendre le métro ou un bus, croiser le regard de toutes ces petites mains qui ont été à notre service, ressentir leur boule au ventre et leur adresser un sourire, un petit geste de solidarité.

…d’espoir

Le deuxième confinement avait été moins éprouvant, présenté comme “préventif” avant les vacances de Noël, c’était comme un sas d’entrée pour les fêtes en famille. Toujours les mêmes angoisses, mais des perspectives d’en sortir. Des masques commercialisés partout, des tests pratiqués en pharmacie, des flacons de gel hydroalcoolique dans la poche ou dans le sac, autant de préparatifs s’ajoutant à la dinde et au sapin. Et puis cette annonce que d’ores et déjà, dans certains pays la vaccination progressait. Hélas, après la vaccination médiatisée de Mauricette et un bilan de première semaine de vaccination en France s’établissant à 332, l’anxiété était montée d’un cran en début d’année 2021 : 332 personnes vaccinées en une semaine, on n’y arriverait jamais ! Ou alors au bout de combien d’années ? Et de voir des images des “vaccinodromes” ouverts 24 h/ 24, 7 jours / 7 aux États-Unis, tandis qu’ici commençait la controverse du vaccin, de toute manière hors de portée pour la population active, sauf certaines professions définies dans cette liste, aussi difficile d’application que celle des rayons accessibles des supermarchés, avec certains produits couverts d’une bande jaune analogue à celle qui, dans les films policiers, délimite la scène de crime…
Alors, c’est sûr, ce troisième confinement avait été violent, violent à couper les jambes et à avoir raison de toute son énergie positive. Attendre son tour, fin juin peut-être, pendant que le monde entier se mettait en tête de créer son variant… C’est tout ça qu’elle avait envie d’expliquer au milieu de ses larmes, ce soulagement de ne pas avoir “volé” la dose d’un.e plus fragile en ayant eu la possibilité de bénéficier ici de créneaux libres le jour de l’Ascension, quand à Paris tous les centres étaient saturés. Ce sentiment de reconnaissance aussi et cette légèreté soudaine à la perspective d’accompagner les filles à l’école lundi matin.
“Vous savez Monsieur, il y a eu plus de décès au Centre Alzheimer dans ma rue que dans toute la ville de Perpignan” avait-elle alors répondu. Mais elle ne lui a pas parlé des classes qui ferment le soir pour le lendemain, des huit ou neuf tests PCR infligés à ses enfants, même à celle de 4 ans, de ses collègues de bureau à plus de 50 % frappé.e.s directement par la pandémie. Elle ne lui a pas parlé de tout ça, elle était trop heureuse.

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