Crabe bleu : une nouvelle offensive n’est pas exclue

Bien que les pêcheurs de l’étang de Canet-Saint-Nazaire capturent beaucoup moins de crabes bleus, cette espèce invasive, très agressive, a mis en péril l’équilibre de l’écosystème de la lagune, donc la survie de leur activité.

Dix tonnes prélevées en 2021, plus de quatorze en 2022, l’appétit féroce du crabe bleu a mis à mal la pêche du crabe vert et de l’anguille (voir Agri nº 3837 du 29 septembre 2022) opérée par les quatre derniers pêcheurs de l’étang de Canet, ils étaient une cinquantaine dans les années soixante-dix. Mais l’on ne s’explique pas vraiment encore pourquoi les captures sont tombées à une tonne en 2023, malgré les études engagées grâce à un financement d’aide à la recherche. Financement qui a permis, entre autres, de rémunérer la capture de ce crabe aux pinces de destruction massive et compenser les pertes matérielles et économiques des pêcheries. Un fonds, en quelque sorte compensatoire, devenu capital au maintien de l’activité indispensable de ces artisans-secouristes de la lagune. « Si nous n’avions pas eu l’opportunité de ce plan scientifique, je crois que nous aurions déjà tout arrêté ! » évoque avec soulagement, mais aussi avec la crainte des lendemains, Jean-Claude Pons qui, au gré des saisons, cale depuis l’âge de 16 ans, nasses et filets.

Jean-Claude Pons, pêcheur vétéran de l’anguille à l’étang de Canet.

Rallonge espérée

« Cela nous a donné un bon coup de pouce pour nous sauver, car même s’il n’y a pas eu énormément de crabes bleus, notre dernière saison de pêche à l’anguille est, de mémoire, la plus mauvaise que l’on est jamais faite ! » Un facteur d’inquiétude qui pousse ce vétéran et ses collègues à réclamer une prolongation des aides financières. Allouées pour deux ans, elles ne semblent pas renouvelées pour le moment. « Nous espérons une rallonge de budget car, sur les mois passés, avec le manque d’apport d’eau douce et les températures élevées, nous n’avons pas eu un terrain favorable pour que les études du comportement de ce crabe soient réalisées en conditions saisonnières et climatiques normales. »

Critères qu’ils jugent utiles pour parachever les investigations scientifiques auxquelles, étant en première ligne, ils sont de précieux partenaires pour les chercheurs. « Ce sont nos meilleurs observateurs et lanceurs d’alertes » atteste sans équivoque Stéphane Hourdez, chercheur CNRS de l’unité LECOB, basé à l’observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer. « La deuxième semaine de février ils nous ont déjà informés que la température de l’eau avoisinait une dizaine de degrés et qu’ils recommençaient à capturer quelques crabes bleus, de toutes tailles, que nous avons récupérés dans le cadre de notre étude scientifique ».

Pas d’éradication

Lagune de Canet-Saint-Nazaire.

Des pêches qui ne présentent pas pour l’instant de femelles grainées, pleines de petits crabes en devenir, mais qui confirme bel et bien l’implantation de cet hôte indésirable, bien à l’abri dans ces eaux de la lagune. Un milieu inapproprié aux conditions de vie de leurs prédateurs naturels comme la seiche, le poulpe ou la grande dorade royale, dans lequel ils ne peuvent que proliférer… « On ne peut pas espérer une éradication de cette espèce invasive par une intervention humaine, en revanche, grâce à nos études, nous pouvons déployer des actions pour essayer de limiter son implantation. » souligne le scientifique. « Une des pistes que nous explorons, avec le concours des pêcheurs, consiste à trier tous les 15 jours les pêches de planctons pour détecter l’arrivée dans la lagune des jeunes larves de crabes bleus et dire, à ce moment-là, il faut fermer les écluses. »

D’autres données scientifiques sont également attendues pour comprendre où se place le crabe bleu dans la chaîne alimentaire du réseau trophique, l’impact halieutique des efforts de pêche, mais également mieux comprendre ses maladies. Sur ce dernier point, il s’agirait d’identifier moléculairement ses parasites afin de savoir s’ils lui appartiennent ou bien s’il en a attrapé d’autres, endémiques plus locaux. En attendant lorsque l’on sait qu’une espèce invasive met a minima entre 15 à 20 ans avant que l’abondance de sa population chute et que les espèces retrouvent un équilibre, l’urgence économique et sociale des derniers pêcheurs de la zone ne permettra pas de patienter jusqu’à ce terme sans un appui financier…

Thierry Masdéu

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