Ce n’est pas au nombre de contraventions que l’on mesure la grandeur d’une nation ! (Par Jean-Paul Pelras)

Nous sommes le 15 mai 2020, jour de la Sainte Denise. 6 heures du matin. Se passer un peu d’eau sur le visage, regarder le soleil se lever à la proue du jardin et se dire qu’il faut aller bosser. Avec ou sans masque, mais aller bosser.

Parce qu’il y en a assez de rester cloîtrer comme des cancrelats, à prendre du poids, à perdre des muscles, à s’abrutir devant un écran d’ordinateur, à regarder des séries télévisées qui n’ont ni queue ni tête, à s’occuper des enfants qui ne tiennent plus en place, à faire la sieste pour passer le temps entre deux repas, à prendre le mauvais pli, à devenir ce que nous n’étions pas.

Et puis, il y a, osons le terme avant qu’il ne soit prohibé, « avant qu’ils ne viennent nous chercher », tout ce qui pourrait tendre vers une dérive sécuritaire ! Les drones, les laisser-passer, le voisin qui surveille embusqué derrière les volets, le couvre feu, le traçage numérique, le contrôle des paniers. Ces retraités qui dorment dans le même lit depuis 50 balais et que l’on verbalise parce qu’ils ont osé sortir deux chaises sur le palier. Sans oublier le pépé qui se prend une prune en cherchant quatre morilles à deux pas du village, alors qu’en ville ils viennent de rouvrir les magasins de bricolage. Et l’autre qui, avant de mettre un orteil sur le trottoir, se fait gauler par les archers du roi, parce qu’il a oublié l’attestation. Cette attestation que nous devons remplir nous même, comme s’il s’agissait de mieux jauger notre capacité d’indignation.

Et la mémé morte dans cette maison de retraite où, parait il, le virus l’a emportée. « Parait-il » parce que personne pour vérifier, personne pour lui dire adieu, ni un mari, ni un fils, ni une fille pour lui tenir la main et lui fermer les yeux.  Circulez, y’a plus rien à voir, sauf peut être, entre deux statistiques, au 20 heures, le soir.

Alors, bien sûr, certains diront qu’il ne faut pas parler comme ça. Que le murmure des interrogations peut aggraver la contagion, qu’il faut respecter le travail des soignants, penser à ceux qui sont partis, à ceux qui partiront …

Mais quel est ce pays ?

Etrange rhétorique finalement qui tend à nous faire culpabiliser en opposant les Français, en infantilisant cette société. Alors que ceux qui pilotent au doigt mouillé n’ont su ni anticiper, ni rassurer.

Mais quel est ce pays, l’un des plus riches au monde, qui demande à ses habitants, comme au carnaval finalement, de fabriquer des masques en papier pour se protéger  et, tant qu’à faire, pour passer le temps ? A t’on seulement le courage de reconnaître que nous sommes tombés dans les eaux basses de la négligence, du rafistolage et de l’indignité?

Et que dire, oui que dire, de ces entreprises qui ne survivront pas à cette saignée, de ce PIB qui dégringole, de cette économie qui court à la curée ? Les patrons ne dorment plus, les salariés se demandent s’ils retrouveront leurs emplois cet été, cet automne, cet hiver qui sait.

Les charges seront reportées peut être. Mais le manque à gagner sera irrécupérable pour la coiffeuse qui a fermé son salon, pour le fleuriste qui a du plier boutique, pour le restaurateur qui a baissé son rideau, pour l’industriel qui a du arrêter ses chaînes de production, et pour toutes celles et ceux qui devront supplier leurs banquiers s’ils ne veulent pas finir sous le couperet des liquidations.

Alors, de grâce, un peu moins de leçons, un peu moins de suffisance et un peu plus d’humilité, un peu moins de zèle et un peu plus d’efficacité. A la mi mai, le jour de la sainte Denise, l’embargo doit être levé !

Car, ce n’est pas au nombre de contraventions que l’on mesure la grandeur d’une nation, mais au nombre de masques enfin distribués, au nombre de tests enfin effectués pour que les soignants puissent être protégés, pour que les activités puissent être sécurisés, pour que le pays puisse à nouveau travailler. Dans le cas contraire, la récession provoquerait le désordre et l’impatience susciterait l’insubordination.

Tout comme, demain, il faudra construire moins de stades que d’hôpitaux et savoir reconnaître à sa juste valeur le travail d’une infirmière, avant de décorer comme un arbre de Noël le milliardaire dont le seul mérite sera d’avoir su taper dans un ballon. Oui, demain, quand l’écheveau des grosses ficelles politiques sera entièrement démêlé et qu’il faudra réinventer l’avenir. Sans fausse note, sans faux pas, sans plan b, sans discours ampoulés, sans filets, sans décroissance, sans inflation. Parce qu’on ne pourra pas éternellement nous refaire le coup de l’émotion. Là où, désormais, la réalité dépasse l’affliction.

Jean-Paul Pelras

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