Casseurs ou agriculteurs : le Conseil d’État a donc tranché ! [par Jean-Paul Pelras]

En annulant la dissolution du mouvement “Les Soulèvements de la terre”, le Conseil d’État vient d’adresser un message dévastateur aux paysans français. Depuis des mois, les membres de cette association s’en prennent régulièrement aux installations agricoles comme ils l’ont fait notamment à Sainte Soline lors de la manifestation anti bassines ou, entre autres lieux, dans les serres expérimentales de la Fédération des Maraichers nantais. Rappelons que, ce jour-là, une députée de la République, membre de EELV, Julie Laernos, participait également à la destruction des cultures. Tout comme, de Marine Tondelier en passant par Marie Toussaint, Sandrine Rousseau, Benoît Biteau, Clémence Guetté ou, entre autres, Mathilde Panot, élus ou responsables politiques de gauche furent nombreux à exprimer leur satisfaction consécutivement à la décision du Conseil d’État. Une satisfaction qui, à bien y regarder, concernait tout autant et même peut-être davantage le désaveu subi par le ministre de l’Intérieur que le blanc-seing délivré à quelques activistes par une institution républicaine.

J’écrivais, ici même, voici quelque mois : “L’État va devoir choisir entre les écologistes et les agriculteurs”. Voilà qui est fait, urbi et orbi pour ainsi dire, avec une prise de position qui fera jurisprudence auprès de ceux qui considèrent désormais comme autorisé le saccage des biens d’autrui. “C’est bon, maintenant on peut tout péter” doivent se dire ceux qui prévoient déjà la “méga manif de la méga bassine” à l’horizon juillet 2024.
Seulement voilà, l’effet de surprise risque de faire “pschitt”, car de nos campagnes est en train de sourdre une étrange colère matinée d’indignation et d’exaspération. De ces colères dont le monde agricole a le secret, toute en retenue, mesurée et déterminée à la fois qui, lorsqu’elle finit par s’exprimer, c’est dans les livres d’histoire plus qu’au journal de 20 heures qu’elle est définitivement et irrémédiablement consignée.
Les agriculteurs, ceux qui ont investi, qui doivent, 365 jours par an, faire tourner leurs exploitations, nourrir leurs familles, payer leurs salariés, acquitter leurs emprunts, pérenniser et protéger leurs cultures, ne plaisantent pas avec le respect de cet outil de travail que certains enfants gâtés confondent avec un champ de bataille ou un terrain de loisir.

En autorisant, de facto, la poursuite de ce mouvement, le Conseil d’État cautionne la violation de propriété et autorise l’incursion d’individus mal intentionnés sur des terrains privés. La cause environnementaliste semble, à ce titre, bénéficier de toutes les complaisances et pourrait, à l’instar de ce qui vient de se passer avec l’intrusion d’activistes anti OGM dans les locaux de la Coopérative Arterris à Carcassonne, s’étendre à d’autres structures agricoles, sur l’ensemble du territoire.

Des faits qui sont devenus monnaie courante dans les exploitations, comme en septembre dernier, en Loire Atlantique, où un agriculteur a été agressé physiquement, où son matériel de pulvérisation et un de ses bâtiments furent incendiés. Dégradations diurnes et nocturnes, intrusions, menaces écrites ou verbales, intimidations, stigmatisations, passage à tabac… Les actes criminels et délictueux se perpétuent à la petite semaine dans nos campagnes, avec des drames souvent évités de justesse et une lassitude qui pourrait s’exprimer dans des proportions dont les membres du Conseil d’État n’ont manifestement pas pris la mesure.

Car si la main de cette institution a tremblé pour des raisons idéologiques, certains, dans les mois qui viennent, pourraient bien ne pas tendre l’autre joue. Et l’État, tout comme son écheveau d’institutions, serait amené à se prononcer plus fermement et sans ambiguïté sur certaines priorités, comprenez entre l’écologiste et l’agriculteur. Le premier totalisant pour l’instant 2 % des suffrages lors des élections présidentielles. Le second garantissant quantitativement et qualitativement l’autosuffisance alimentaire des Français, moyennant 75 milliards de chiffre d’affaires et 27 millions d’hectares cultivés. Reste à savoir si la capacité d’indignation des agriculteurs saura influencer la capacité de réflexion du législateur.

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