Boulangeries : leur avenir suspendu à l’élargissement du bouclier tarifaire [par Thierry Masdéu]
Le 4 mai dernier, dans le cadre de la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France (EDF) d’un démembrement, des députés de l’Assemblée nationale ont également adopté en deuxième lecture, et contre l’avis du Gouvernement, l’élargissement temporaire du bouclier tarifaire aux TPE sur l’année 2023.
Défendue par le député LFI Éric Coquerel, président de la commission des finances, et ses rapporteurs, Philippe Brun, député PS et Sébastien Jumel, député GDR-NUPES, cette adoption provisoire du texte laisse encore espérer une bouffée d’oxygène pour les entreprises concernées. Tout comme pour les collectivités, les établissements publics de coopération intercommunale de moins de 50 000 habitants et les organismes d’habitation à loyer modéré. Avec 102 voix pour et 23 contre (voir illustration), le vote de cet amendement nº 6 permet de supprimer dans le texte de l’article 3 bis du code de l’énergie, les mots : “pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères”. Critère limitatif de puissance électrique, qui a occasionné l’inégibilité au bouclier tarifaire d’un bon nombre d’entreprises artisanales. Dispositif que le sénateur LR Fabien Genet qualifiait déjà d’injustifiable, avec une proposition de loi déposée au Sénat en première lecture, le 23 décembre 2022. “Lors de la transposition de la directive européenne de 2019, c’est le législateur français qui a usé d’une surtransposition en incluant dans le texte ce critère de puissance des 36 kVA !” (Voir l’Agri Nº 3862 du 30-03-2023).
Examinée et longuement débattue, cette modification a à nouveau mis le point d’orgue sur les situations critiques que traversent toujours les professions grandes consommatrices d’énergie, comme les boulangers pâtissiers. Cette corporation, représentée ce jour-là dans l’hémicycle par Frédéric Roy, artisan boulanger à Nice (06) et Pascal Wozniak, maître artisan boulanger pâtissier à Lembeye (64), s’est sentie rassurée par le soutien d’une majorité des députés. “Ce qui est remarquable et inédit, c’est que la situation critique que traverse l’artisanat avec cette crise énergétique a permis de sensibiliser à notre cause tous les partis politiques de l’opposition contre le Gouvernement !” tient à saluer Pascal Wozniak, membre du collectif pour la survie des boulangers et de l’artisanat, qui recense plus de 4 000 professionnels. “Cela démontre bien que la raison, on l’a, elle est dans notre camp et pas dans celui du Gouvernement !”
Un métier “à risque”
Une raison, dont le texte a été transmis au Sénat pour deuxième lecture et qui, pour être adopté, doit être voté conforme par une majorité de sénateurs. Ensuite, son application dépendra de la rapidité de la promulgation et de la parution des décrets, ce qui parfois peut être assez long. “Nous attendons encore la confirmation, mais normalement, la date qui nous avait été communiquée pour l’examen en deuxième lecture au Sénat est celle du 15 juin !” avance avec une pointe d’incertitude et d’espoir, Pascal Wozniak. “C’est impératif, car le processus est long et il faut que cette mesure soit applicable juste avant l’hiver. Si non, cela nous reporterait en 2024, ce qui serait catastrophique pour la santé financière de nos entreprises !”
À ce jour, la lecture de ce nouveau texte ne semble pas avoir encore été inscrite à l’ordre du jour des prochaines sessions de juin et, selon Cédric Guyon, collaborateur parlementaire du sénateur Fabien Genet, elle ne le serait probablement pas avant la fin des sessions pour l’été. Une attente difficilement supportable que les artisans du collectif souhaiteraient écourter afin d’enrayer l’hécatombe du nombre déjà élevé de boulangeries à la vente. Un constat que déplore également Romuald Cérezo, président de la Fédération de la Boulangerie et Boulangerie-Pâtisserie des P.-O. “Dans notre département, une vingtaine ont déjà mis la clé sous la porte, et sur les 200 boulangeries pâtisseries que compte les P.-O. près de la moitié sont à la vente ! Je vous invite simplement à consulter les sites d’annonces, et vous verrez bien que sur celles uniquement du bon coin, on en dénombre déjà une quarantaine !” témoigne avec amertume et colère cet artisan boulanger-pâtissier, basé à Salses-le-Château. “Et maintenant, qui va reprendre ou acheter ces commerces ? Personne n’en veut, personne ne veut plus prendre de risque, en commençant par les banquiers qui considèrent maintenant nos professions comme des métiers à risque en raison de nos besoins énergétiques !” Une situation complexe qui pourrait plonger dans le marasme toute une profession et semer le doute sur la pérennité de ses filières de formations. À suivre…