Coûts de l’électricité : les professionnels de la viande montent au créneau ! [par Thierry Masdéu]

“Les artisans bouchers-charcutiers, pleins d’énergie, refusent de se faire allumer !” C’est par ce slogan qu’une délégation de plus de 300 représentants de la profession a manifesté son mécontentement la semaine dernière à Paris, aux portes de l’Assemblée nationale. Un cri d’alarme venu des quatre coins de France, pour dénoncer les hausses abusives du prix de l’énergie et l’inégalité des aides dont pâtit la profession.

Organisée par la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBTC), l’accent de cette mobilisation, qualifiée d’historique, s’est porté sur la non-éligibilité au “bouclier tarifaire” pour près de 40 % de ses 18 000 adhérents. Des laissés-pour-compte qui, entre les chambres froides, les frigos, les vitrines réfrigérées, les outillages de découpe, les séchoirs, les fours, n’ont pas d’autre choix que de souscrire à des offres d’électricité d’une puissance supérieure à 36 kWa. Même l’aide de “l’amortisseur électrique”, prévue en 2023 pour ces non-éligibles au “bouclier tarifaire”, serait insuffisant voire inefficace dans sa forme actuelle. “Car il n’intervient que lorsque le prix du mégawatt/h est supérieur à 325 € (donc 3 à 4 fois plus que le prix de 2021 !), et sera plafonné à environ 120 €”, comme l’argumente le communiqué de presse de ces professionnels de la viande.

Jérôme Vila

Des critères d’éligibilité qui contraignent et risquent de redessiner à la baisse le projet de réfection de la boutique de Jérôme Vila, artisan boucher-charcutier à Toulouges. “Je n’en dors pas la nuit et je me pose beaucoup de questions car j’ai prévu pour février 2023 d’entreprendre de gros travaux de rénovation pour moderniser le magasin ! Je rase tout, je vais rajouter des nouvelles vitrines, de nouveaux frigos. Et là, je serais dans l’obligation de basculer le compteur de la boutique sur une puissance bien supérieure à ces 36 kWa !” confie, avec anxiété, cet artisan qui dispose, de par la configuration de son établissement, d’un deuxième compteur pour l’activité de l’atelier de transformation. “Déjà que nous sommes confrontés à toutes les autres augmentations de l’énergie avec les carburants ou le gaz, mais aussi sur la viande, les emballages… Avec l’électricité et ses multiplicateurs d’augmentations annoncés pour 2023, nos marges vont se réduire comme peau de chagrin !”

Un cap très difficile que ce chef d’entreprise n’envisage pas, pour l’instant, de franchir avec des augmentations systématiques de prix, ni même par une diminution de ses fabrications. “Aujourd’hui, avec mes 6 collaborateurs, nous mettons du cœur à l’ouvrage pour tout fabriquer, la charcuterie, le jambon blanc, les plats cuisinés, etc. Et si je dois stopper toutes ces productions pour économiser de l’électricité ou du gaz, est-ce que je dois continuer à faire ce métier ?” s’interroge, la boule au ventre, cet artisan boucher charcutier qui a repris, en 2008, l’affaire familiale. “Mon métier, ma vocation c’est fabriquer, je n’achète pas pour revendre tel quel. Si demain il faut en arriver là, je préfère arrêter ! Nos métiers, comme chez les artisans boulangers, sont des métiers de transmission des savoir-faire, très prisés par une clientèle qui recherche la qualité des produits faits maison !”

On va bouffer le bénéfice de l’année…

Bernard Guasch

Une conjoncture économique semée d’incertitudes, que son fournisseur en carcasses, Bernard Guasch, surveille avec la plus grande attention. “Ce qui me préoccupe aujourd’hui avec ces coûts démesurés de l’électricité, c’est l’équilibre financier de tous ces bouchers artisans qui représentent 50 % de notre volume d’affaire !” souligne avec inquiétude ce chevillard qui les accompagne depuis 45 ans. Une crise énergétique à laquelle devra aussi faire face ce distributeur en viande qui consomme, sans compter l’activité de la “Catalane d’abattage”, près de 3 millions de kW/h par an et dont la facture s’élève à 250 000 €. “Au 31 mars 2023, notre contrat arrive à échéance et, depuis trois mois, nous sommes en pourparlers pour savoir si ce poste énergétique sera multiplié par trois ou quatre ! C’est une situation qui s’annonce très compliquée, car comment s’en sortir ? Cela va bouffer le bénéfice de l’année et il va bien falloir renouveler le contrat… Mais à quel prix ?” affiche, dubitatif, ce chef d’entreprise qui s’interroge sur les conséquences que cela risque d’entrainer dans le fonctionnement des mois à venir.

“Va-t-on devoir revenir sur des pratiques d’antan, comme dans les années 70, où le soir il ne fallait surtout pas oublier d’éteindre les frigos, sinon on prenait un coup de pied au cul ! Ou bien avec les livraisons, qui se faisaient dans des bacs que l’on récupérait à chaque passage ?” affiche d’un ton grave, Bernard Guasch, en évoquant ses premiers pas au côté de son père dans l’apprentissage du métier. “Avec l’abondance de ces 30 dernières années, on avait complètement perdu et oublié cette conscience-là, du savoir vivre dans la crainte du manque des lendemains !” Une insouciance collective que la réalité énergétique a remis à jour et qui pousse ce chevillard à entreprendre des économies d’échelle. Comme des audits en cours, qui devront déterminer les gains en réduisant de quelques degrés les besoins en froid pour les frigos et salles de travail. Au moment où l’État communique sur l’accélération de son plan national de délestage, cette nouvelle donne des rationnements électriques pour cet hiver n’allège en rien l’inquiétude grandissante chez les artisans bouchers.

Contacts :
• Maison Vila – Jérôme Vila :
04 68 56 46 25 – https://www.maison-vila-toulouges.fr/
• Guasch & Fils – Bernard Guasch :
04 68 54 36 86 – https://www.guasch-viandes.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *