« Au-delà de 25 ou 30 % d’ombrage, le rendement s’effondre. »
Créateur de Sun Agri, Antoine Nogier regrette, c’est un euphémisme, le manque d’ambition de l’État sur l’agrivoltaïsme. Et craint que la production d’énergie finisse par primer sur l’activité agricole.
Vous avez piqué un coup de sang quand le projet de décret d’application de la loi sur l’agrivoltaïsme est sorti. Pour quelles raisons ?
C’est assez simple. La loi a vraiment pris un tournant agricole, l’agrivoltaïsme est considéré comme une technique agricole au bénéfice de l’agriculture et non pas comme un moyen de production d’électricité habillé par l’agriculture. Ce décret d’application était attendu et devait préciser un certain nombre d’éléments, les services qui sont rendus et les limites techniques des projets, en particulier la baisse de rendement autorisé
C’est-à-dire ?
En fait, j’ai été surpris qu’on parle de baisse de rendement autorisé. J’aurais préféré qu’on parle de maintien de rendement moyen. Nous sommes parvenus à faire en sorte que cette « baisse de rendement autorisé » ne dépasse pas 10 % mais, sans qu’on comprenne pourquoi, les serres et l’élevage ont été exclus de cette obligation. Or, ce sont dans ces deux domaines que les contre-références sont les plus nombreuses et que les incompréhensions sont les plus grandes, avec notamment il y a quelques années, le déploiement de serres dans lesquelles rien n’est mis en culture. Mais il y a un autre critère qui nous semble fondamental : le taux de couverture. Un collectif de chercheurs qui travaille sur le sujet avait proposé un taux de couverture ajusté de 25 %, extensible en cas de panneaux translucides ou pour des panneaux pilotés qui corrigent l’effacement, ce que fait la technologie de Sun Agri. C’était une mesure de précaution pour éviter les ombrages abusifs dont on sait qu’ils font chuter les rendements. Au-delà de 25 ou 30 % d’ombrage sur le cycle de la plante, le rendement s’effondre de façon nette et précise. Aujourd’hui, avec ce qui est prévu dans le projet de décret, c’est 40 % de taux de couverture ! Soit 55 % de la lumière qui n’arrive pas au sol, à ce niveau-là, rien ne peut fonctionner correctement pour la photosynthèse des plantes.
Comment expliquer cette incohérence ?
C’est le travail des lobbies. D’ailleurs, je remarque que depuis que le travail est commencé sur ce décret, on ne parle plus que de production d’électricité, on n’a pas parlé une seule fois d’agriculture. Cela laisse un petit goût amer, comme si une fois qu’on a bien parlé d’agriculture, il était temps de passer aux choses sérieuses… Je trouve cela stupéfiant, surtout alors que les agriculteurs expriment une révolte légitime pour pouvoir vivre de leur travail, qu’on puisse permettre des projets sans engagement de résultats sur le rendement. Pour l’élevage par exemple, vous n’aurez pas d’herbes, pas de fourrage, dans les serres vous n’aurez rien qui poussera et vous aurez des agriculteurs qui vivront peut-être de loyer mais plus d’agriculture. Le risque c’est que si vous percevez un loyer et qu’il n’y a rien qui pousse, si on baisse de rendement de 30 %, vous cessez de l’exploiter. Le risque c’est qu’on arrive à un point où cultiver n’est plus rentable. C’est cela que l’on veut enrayer en faisant en sorte que l’agriculteur vive justement mieux de son activité.
Le risque est grand alors pour l’agriculture selon vous ?
Dans ce décret, il y a beaucoup de détails qui sont comme cela, des trucs d’empêcheurs de tourner en rond. Je pense aux zones d’accélération qui n’ont, pour le photovoltaïque, aucun sens, et a contrario, des points essentiels qui permettaient de maintenir l’agrivoltaïsme dans le champ de l’agriculture ont été considérablement affaiblis.
Et là il y a un risque, mais j’espère que les doctrines locales qui seront développées dans les régions et les départements, où le terrain et sa réalité sont mieux maîtrisés que par l’État, seront adaptées et seront plus exigeantes pour permettre aux agriculteurs de mieux vivre de leur métier. Mais pour cela, il faut revenir au projet de loi qui proposait que pour les projets d’une taille raisonnable, la procédure se résume à une instruction en mairie avec une justification appuyée sur le changement climatique et l’agronomie. Le décret renvoie toute l’instruction chez le préfet, donc les ministères, et prive les maires de tout pouvoir de décision. L’État n’a pas l’air de vouloir s’encombrer de démocratie locale…
Où en est-on aujourd’hui ?
On a pris du retard avec le changement de gouvernement, on ne sait pas quand le décret va sortir et sous quelle forme. Aujourd’hui, on est un peu dans la situation où on aurait inventé l’automobile, on sait que la vitesse tue et on vous réclame zéro mort sans imposer de limitation de vitesses. Je préférerais qu’on soit plus prudent, je pense particulièrement aux taux de couverture parce que je parie qu’il n’y aura pas de démontage d’installations a posteriori si on se rend compte qu’on s’est trompé. D’ailleurs, le décret est particulièrement silencieux sur ce point et il n’y a pas de projets de sanctions, cela en dit long…
Propos recueillis par Yann Kerveno