Agribashing : la guerre des tribunes !
Nous venons de le voir, avec le lancement du Grand débat citoyen consacré à l’agriculture, nous sommes quelques journalistes et ils sont quelques “influenceurs” d’opinion à échanger sur cette profession par tribunes interposées.
Avec, d’un côté, celles et ceux qui tentent d’intégrer en toute objectivité les réalités économiques de la filière. Et, de l’autre, celles et ceux qui préconisent un changement de modèle dicté par quelques idéaux politiques, puisqu’il faut désormais considérer l’environnement comme étant une cause politicienne.
Bien évidemment car “je viens de là”, je défends le monde paysan. Et ce, même si me sont adressées, y compris de la part de certains responsables professionnels, quelques “recommandations”. Conseils subliminaux qui préconisent le dialogue, la prudence, la concession. En trente ans, chaque fois que le monde agricole a accepté la négociation, il a perdu la partie. Et nous avons laissé un peu plus de terrain à ceux qui ont voulu s’accaparer le métier, gérer nos affaires, dicter leurs dogmes. Et, au final, faire du paysan le subalterne d’une société guidée non plus par ses besoins, mais par ses caprices.
Il ne faut surtout pas se bercer d’illusions, l’amour n’est pas dans le pré. Et ce que les lobbies environnementalistes veulent faire de notre
agriculture tiens moins de la bluette que du plan de bataille. D’ailleurs, la plupart d’entre eux s’en prennent désormais au terme qui fait référence à l’acharnement dont sont victimes les agriculteurs. Un acharnement imaginaire pour certains. “L’agribashing est un slogan, une campagne de communication jouant du ressort de la victimisation afin d’étouffer tout débat sur l’avenir de notre modèle agricole, d’éteindre toute contestation vis-à-vis des méthodes employées par certains agriculteurs – en particulier l’usage de pesticides.” La phrase est extraite d’une tribune accordée la semaine dernière au journal Les Echos par Chloé Morin, directrice de l’observatoire de l’Opinion à la Fondation Jean Jaurès. “Victimisation” le mot est lâché. “Le culte de la persécution” ne saurait tarder. Nous y voilà, avec cette partition que certains font mine d’ignorer en évoquant quelques sondages soit disant favorables au monde agricole le temps d’un salon, Porte de Versailles.
Cette propension qui tend à usurper le savoir-faire en usant du “faire savoir” relève de l’indécence
Quelques jours plus tôt dans Le Monde, les journalistes Stéphane Foucart et Stéphane Horel titraient gaiement : “Agribashing : un levier d’influence pour une partie du monde agricole” Avant de poursuivre avec cette phrase : “La notion, qui disqualifie la critique du modèle agro-industriel, s’est imposée dans le débat public au point d’être institutionnalisée.” Sans oublier la charge, dépourvue de toute originalité puisque livrée par le directeur de Générations Futures, François Veillerette, dans une tribune accordée à Reporterre : “L’agribashing, une fable qui freine l’evolution de notre agriculture”. Et celui qui est également vice-président de la Région Picardie
de rajouter : “En demandant l’arrêt de l’agribashing, le but n’est pas seulement de faire capoter quelques réformes contraignantes, mais aussi de restreindre la liberté d’expression des personnes ou organisations critiquant le système agricole actuel.” La FNSEA étant un peu plus loin et même un peu plus tôt nommément visée.
Une FNSEA qui porte sa part de responsabilité dans cette affaire. Non pas car elle défend un modèle décrié et pourtant seul capable de répondre sur le plan quantitatif et qualitatif aux besoins alimentaires de nos sociétés. Mais plutôt car elle n’a pas su siffler la fin du match, voici quelques mois, en refusant ce simulacre de consensus que fut la Loi Egalim. Mais aussi car, au lieu de collectionner les selfies Porte de Versailles avec à peu près tout ce que compte la classe politique du moment, elle devait s’opposer à la mise en place du Grand débat agricole instauré à l’insu des paysans. Pour l’instant, nous ne l’avons guère entendue sur ce point.
Récemment un contributeur peu amène me lançait : “L’agriculture française n’appartient pas aux agriculteurs, elle appartient aux consommateurs”. Une appropriation du métier, distillée par certains médias, qui est en train de faire son chemin dans l’esprit de nos concitoyens. Et pourtant, est-ce que le cabinet dentaire appartient à celui qui vient se faire installer un bridge ou arracher une dent ? Est-ce que l’atelier de mécanique appartient à celui qui vient faire réparer son automobile ? Est-ce que la boulangerie appartient à celui qui vient acheter son pain ? Est-ce que le bistrot appartient à celui qui vient boire un café ?
Cette propension qui tend à usurper le savoir-faire en usant du “faire savoir” relève de l’indécence. Penser que les agriculteurs peuvent négocier avec leurs détracteurs, aussi vertueux et cultivés soient-ils, relève de l’inconscience.
Jean-Paul Pelras