Vins : l’extension du domaine de la taxe
Il y a le chaud et le froid. Ou plutôt le froid, le chaud, et de nouveau le froid. De nouvelles taxes américaines s’appliquent dès jeudi sur les vins français…
Personne ne s’attendait à ce que l’administration Trump rajoute une couche de taxes sur les vins européens, français et allemands en particulier. Ce n’est d’ailleurs pas à proprement parler une nouvelle couche, mais plutôt l’extension de celle en vigueur depuis le 19 janvier 2020 et qui frappe de 25 % de droits de douane supplémentaires les vins de moins de 14° entrant sur le sol américain. Et ce, il n’est pas inutile de le rappeler, en rétorsion dans un conflit qui n’a pas grand-chose à voir avec la vigne, celui qui oppose l’Union européenne aux États-Unis quant aux soutiens qu’ils accordent respectivement à Airbus et Boeing. Dans ce nouveau dispositif, prévu pour entrer en vigueur ce mercredi 13 janvier, l’ensemble des vins français, allemands et espagnols sont concernés, en particulier ceux qui titrent donc plus de 14°, mais aussi ceux qui étaient expédiés en contenant de plus de deux litres, jusqu’ici exemptés, ainsi que le cognac et les armagnacs. Les vins doux naturels ne sont a priori pas concernés par cette mesure.
« Le coup est rude »
Inutile de préciser que la décision américaine, annoncée le 31 décembre, fait, dans la région, l’effet d’une douche glaciale. « Jusqu’ici c’est vrai que nous n’étions pas complètement concernés » témoigne un vigneron du Roussillon. « On ne le disait pas forcément trop fort mais la règle des 14° nous avait permis de passer en partie à travers ces taxes Trump ». La donne n’est plus la même, d’autant que l’entrée en vigueur est brutale. Même les vins déjà achetés, mais non encore sur le sol américain ou même en transit sur le bateau seront taxés à partir de jeudi. Pour Richard Caze, le coup est rude. Département 66, le vignoble du winemaker David Phinney pour lequel il y travaille à Maury, expédie 95 % de sa production, environ 2500 hl, aux États-Unis. Et les vins titrent naturellement plus de 14°… « C’est très très grave pour nous. Même si nous n’étions pas forcément concernés par la première couche de taxes, nous avons souffert de la crise du Coronavirus aux États-Unis et de la fermeture des bars et des restaurants. » Et la surtaxe de 25 $ sera rédhibitoire pour les consommateurs. « On n’imagine pas nos clients acheteurs d’une caisse à 100 $ mettre 25 $ de plus. Les vins du Roussillon n’ont pas une image suffisamment forte, comme peut être celle d’autres vignobles, pour supporter un surcoût aussi important. Cela vient compliquer une situation qui était déjà difficile, et ce d’autant que les vins du nouveau monde ne sont pas concernés… Cela renforce leur compétitivité » regrette-t-il.
« C’est à l’Europe d’assumer »
Si l’on a pu croire durant le week-end à un coup de chance, l’administration américaine a en effet annoncé un moratoire sur l’application de nouvelles taxes, information reprise en particulier par certains de nos confrères, il a fallu déchanter en début de semaine. Si moratoire il y a, il intervient dans un autre conflit, celui de la taxation des GAFA (les géants d’internet) et concerne d’autres produits français. La situation est suivie de très près dans les ministères, les diplomates sont au travail, mais Jean-Marie Fabre, président des vignerons indépendants de France plaide maintenant pour que l’Union européenne, à l’origine de ce conflit douanier, prenne ses responsabilités et assume. « Notre filière a déjà perdu 400 M€ en un an de taxes. Cet élargissement de l’assiette est lié à la décision de la Commission d’appliquer de nouvelles taxes, elle est responsable de l’escalade, c’est donc à l’Europe d’assumer les dégâts et mette sur pied un fonds de compensation. Nous sommes les victimes collatérales du dossier Airbus. Si l’Europe ne bouge pas alors cela voudra dire que la commission sacrifie la viticulture pour l’aéronautique. » En attendant, la seule solution sera la discussion entre producteurs et importateurs pour voir s’il est possible que chacun absorbe une part du surcoût lié à l’application de la taxe.
Levée des taxes ?
Si l’on pouvait fonder quelques espoirs sur l’entrée en fonction d’une nouvelle administration aux États-Unis, il faudra peut-être en plus déchanter. En dépit des efforts du secteur des importateurs et de la restauration américains pour faire sauter les taxes. Dans un long papier, le site américain Wine-Searcher se montre plutôt pessimiste quand à une issue rapide. Les importateurs interrogés considèrent que le cadre en vigueur à partir de jeudi le restera au moins jusqu’à la fin de l’année. Parce qu’il faut qu’une nouvelle représentante du commerce américain soit nommée et adoubée par les deux assemblées (pas avant juin), que pour le président Biden, le fait que les consommateurs payent le vin plus cher n’est pas forcément un problème urgent et que tout est lié au conflit autour d’Airbus Boeing. « C’est pour cela qu’il faut que ce dossier soit clôt le plus vite possible par les diplomates » presse Jean-Marie Fabre. Et si les champagnes échappent aux taxes, c’est, selon le site, dû à un intense lobbying personnel de Benard Arnauld (LVMH) auprès de Donald Trump.
Les exportations des vins du Roussillon
En 2019, les vins secs du Roussillon exportés aux USA ont représenté 3866 hl pour un chiffre d’affaires de 2,3 M€. Entre janvier et juin 2020, les volumes exportés vers les USA s’élevaient à 1710 hl, en replis de 15 % pour un chiffre d’affaires de 07 7 M€, en recul de 39 %. Les États-Unis sont le quatrième marché à l’export en volumes pour les vins secs du Roussillon.