Vigne : le pire n’est jamais sûr mais… [par Yann Kerveno]

Les perspectives sont déjà fort sombres pour la vendange 2023 mais aussi pour l’année 2024. Peu de volumes et mortalité importante sont au programme d’une nouvelle année très compliqué.

Pour que la vigne manque d’eau, il faut souvent la pousser dans ses retranchements et c’est le cas ce printemps. Pas besoin d’être grand clerc pour voir, en traversant le vignoble, que la vigne souffre beaucoup un peu partout dans le département des P.-O., à l’exception de la Côte Vermeille qui a eu un peu plus d’eau grâce aux orages de ces dernières semaines. “Globalement, la vigne a très peu poussé cette année à cause du manque d’eau” explique Julien Thiery, chef du service Viticulture de la Chambre d’agriculture. “Mais le développement phénologique se poursuit, pour les cépages les plus précoces, on est déjà au stade petit pois. Comme nous avions une très belle sortie, on s’attendait à ce que cela coule un peu. À cause du manque d’eau, la vigne se régule et la coulure est malheureusement très importante sur les carignans, les muscats d’Alexandrie, les grenaches et le marselan, cela atteint parfois les 90 ou 95 %” ajoute-t-il. Dans certains secteurs, notamment dans la vallée de l’Agly, la situation est encore plus dramatique avec des vignes qui n’ont pas démarré.

Pousse faible

“Elles n’ont pas eu assez d’eau pour que la saison s’enclenche” résume Julien Thierry “ou alors la pousse est minime, quelques centimètres, et déjà sèche…” Une situation qui se rencontre le plus souvent dans des vignes peu vigoureuses, très enherbées, dans les zones argileuses ou dans les parcelles qui ont été taillées tardivement. Là où le démarrage a bien eu lieu, la pousse est généralement faible avec des tailles et des diamètres de sarments ridicules. “Parfois les grappes sont plus grandes que les sarments et il n’y a globalement pas beaucoup de feuilles…”

L’oïdium est aussi très présent et aussi, plus curieusement, le mildiou, plus habitué à des conditions humides, a fait son apparition sur feuille et parfois sur grappe. La situation est tellement tendue qu’elle génère une foule de questions pour la vendange et pour l’année prochaine. Le manque d’eau, s’il se poursuit, met d’abord la prochaine vendange en danger…

Combien de kilos ?

“On peut nourrir des inquiétudes quant à la maturité, il n’est pas exclu qu’il n’y ait que des groseilles à récolter avec très peu de jus. Faudra-t-il 200 kg de raisins pour faire un hectolitre de vin cette année au lieu de 125 ?” se demande Julien Thiery. Il pointe du doigt aussi le manque de feuilles qui exposera les souches de manière importante pour les vendanges à la machine. “Nous sommes assez démunis, nous avons conseillé des engrais foliaires pour favoriser la pousse, mais sans eau, cela ne fonctionne pas. Quant aux apports aux sols, ils n’ont servi à rien. Je ne serai pas surpris que nous ayons une vendange amputée de 30 à 50 % de son potentiel. C’est encore une vendange qui va coûter cher et rapporter peu. Quant à la mortalité des vignes qui n’ont pas démarré, elle sera probablement importante, peut-être même approchera-t-elle les 10 % du vignoble ?”

Des questions pour 2023 auxquelles s’ajoutent celles pour 2024. Qu’y aura-t-il à tailler cet hiver ? Les vignes redémarreront-elles ? Et qu’attendre, puisque l’initiation florale ne s’est pas déroulée dans les bonnes conditions ? Il faudra patienter jusqu’au début du mois d’août pour pouvoir dresser un premier bilan, mais le pessimisme est de rigueur.

Quid de l’avenir ?

Une des craintes de Julien Thiery porte sur le long terme. “Le risque de pertes de fonds est important cette année mais, avec le dispositif de calamité, ne seront prises en compte que les parcelles qui seront replantées. Et je ne suis pas sûr, compte tenu du contexte, que cela concerne la majorité des parcelles qui seront perdues. Parce que les vignerons n’auront pas le courage ou les moyens de se relancer là-dedans.”

 

David Drilles : il faut une aide spécifique

David Drilles

Pour le président du syndicat des vignerons des Pyrénées-Orientales, l’année s’annonce terrible.
“Après trois récoltes historiquement faibles, sous les 600 000 hectolitres, on parle, pour cette vendange, de 350 000 à 400 000 hectolitres, cela va mettre de nombreuses entreprises, vignerons indépendants ou coopératives, dans de grandes difficultés, l’année risque simplement d’être dramatique” résume David Drilles. À la vigne, ce sont surtout des questions qui se posent. “On n’a pas de recul historique sur ce qui va se passer, personne, de mémoire d’homme en tout cas, n’a vu ça ici. C’est une situation complètement inédite. Qu’est-ce que nous allons pouvoir produire avec si peu de végétation ? Aurons-nous des difficultés pour aller chercher les degrés dont nous avons besoin, en particulier pour le Rivesaltes ? Quelle sera la mortalité ?” Et cette année, souligne-t-il encore, il n’y a pas de jaloux. “Qu’on soit en bio ou en conventionnel, tout le monde est à la même enseigne. Et les entreprises seront pénalisées parce que la faiblesse des volumes ne permettra pas de réaliser les économies d’échelle.”
David Drilles réclame d’ores et déjà une enveloppe spécifique pour les Pyrénées-Orientales et l’Aude pour que les vignes qui ne passeront pas l’été puissent être remplacées illico. “Il ne faut pas qu’il y ait de double peine pour les vignerons. Il faut pouvoir remplacer les vignes aussi vite que possible pour que la perte de fonds ne pénalise pas les entreprises pendant cinq ans. Donc, il faut une enveloppe spéciale et un versement anticipé de cette aide. C’est impératif pour sauver le potentiel viticole du département. Si on ne les aide pas de manière spécifique, de nombreux vignerons vont arrêter cette année, entraînant avec eux une partie du paysage et laissant plus de place encore au risque d’incendies.”

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