Vigne : “Donner les bons outils à la filière pour recalibrer l’offre” [par yann Kerveno]

Alors que les vendanges sont en vue, la filière viticole française peine encore à sortir des difficultés de ces trois dernières années. Entre crise avec les USA, Covid et aléas climatiques. Le point avec Jean-Marie Fabre, président des Vignerons Indépendants de France.

Les stigmates des dernières crises ne sont toujours pas effacés, que reste-t-il à régler ?
Oui, il reste plusieurs points à faire bouger pour préserver la compétitivité de nos entreprises. Le premier, c’est l’allongement du délai de remboursement des prêts garantis par l’État, les PGE, de six à dix ans. Pourquoi ? Parce que cela permettrait d’alléger la pression sur les entreprises qui, l’an dernier, ont fait de toutes petites vendanges et n’ont donc pas grand-chose à commercialiser cette année. Il faut savoir que 64 % des entreprises de notre secteur ont contracté un PGE et que 72 % d’entre elles l’ont complètement consommé, avec une moyenne nationale de 100 000 euros. Ce n’est donc pas de la trésorerie mais bien de l’endettement, aujourd’hui, pour ces entreprises et surtout, c’est une mesure qui ne coûte rien à l’État sinon de maintenir sa caution pour soutenir un secteur fortement contributeur au commerce extérieur.

L’autre information qu’il faut avoir à l’esprit, c’est que la dernière enquête de notre observatoire économique montre que le nombre d’entreprises en mauvaise situation financière est passé, en deux ans, de 5 % à 22 %. Et tout cela s’est joué avant ce que nous connaissons cette année, avec une augmentation de nos charges exceptionnelle qui a représenté en moyenne 13 % du prix de vente hors taxes d’une bouteille. Inutile de dire que beaucoup de nos entreprises ne margent pas à ce niveau-là et que nos marges ne pourront pas absorber ces hausses de coûts. Il nous semble, sur ce point, que nous ayons été entendus par le ministre de l’Agriculture lors de notre rendez-vous filière le 25 juillet dernier. Nous espérons avoir une réponse très rapide sur ce sujet, d’ici les vendanges.

Au-delà du conjoncturel, l’engorgement de certains segments du marché pèse aussi…
Il y a en effet des enjeux structurels importants aujourd’hui dans notre vignoble en France. Cela se traduit principalement, selon les bassins, en une question : rééquilibrer l’offre et la demande. C’est le cas, ce n’est pas anodin, à Bordeaux qui vend 4 millions d’hectos pour une production de plus de 5 millions d’hectos, mais c’est aussi valable pour les rosés 2020 et 2021 qui encombrent les chais de certains vignobles. Bordeaux réclame un arrachage définitif, c’est un outil qui pourrait aussi être mis en œuvre ailleurs, mais nous avons besoin de distillation pour les rosés.

Il va falloir exécuter un mouvement audacieux car, depuis 2008, les mesures d’arrachage, au contraire de la distillation ou du stockage, ne sont plus supportées par l’Organisation commune de marché au titre du premier pilier de la PAC. Et ce, contrairement à ce que réclame Bordeaux. On peut envisager demander la réintégration du soutien à l’arrachage dans l’OCM, mais cela va prendre plusieurs années, il me semble préférable de nous appuyer sur le FEADER, le second pilier, pour cela. L’enjeu c’est de donner les bons outils à la filière pour recalibrer l’offre et valoriser la production qui subsiste. Là encore, le ministre a assuré qu’il comprenait nos positions et ses services vont interroger chaque bassin viticole rapidement pour connaître l’étendue et la nature des besoins de recalibrage.

Quid de l’assurance agricole ?
C’est effectivement une question majeure, mais elle ne pourra pas évoluer sans une réforme complète de son mode de calcul. Il y a longtemps, vous le savez, que nous plaidons pour un changement de la base pour l’indemnisation, qui est aujourd’hui la moyenne olympique, les cinq dernières années moins la meilleure et la pire. Mais aujourd’hui, cette moyenne n’est plus valable tant nous sommes confrontés aux aléas climatiques. Il faut abandonner cette règle au profit, c’est notre position, de la référence historique de chaque entreprise, hors aléas. Et c’est un changement qui doit pouvoir se défendre dans le monde entier, en particulier auprès de l’OMC, puisque, malheureusement, le changement climatique concerne les agriculteurs de la terre entière. Nous espérons aussi que notre demande de pouvoir user de la réserve qualité climatique puisse être mise en œuvre dès la prochaine vendange et le développement de l’appui aux investissements de prévention pour mieux protéger les vignes…

Et pour la Dotation épargne de précaution (DEP) ?
C’est un dispositif qui existe dans la loi depuis 2018, mais nous demandons que les plafonds en soient modulés en fonction de la taille de l’entreprise. Que l’on fasse 200 000 euros ou 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, les besoins ne sont naturellement pas les mêmes. Il faut que cela soit pris en compte dès la prochaine loi de finances, en fin d’année.

Comment se porte la viticulture régionale après ces cinq dernières années éprouvantes ?
La question du moment c’est : faut-il 12 ou 8 millions d’hectolitres ? Je trouve que c’est une question mal posée. Pour ma part, je préfère avoir un bassin viticole qui gagne de l’argent. Aujourd’hui, nous avons ici une structure de commercialisation qui n’est pas appropriée. Avec, d’un côté, des vins de cépages qui sont compétitifs, adaptés au marché mondial, c’est Pays d’Oc et nous avons besoin d’une communication forte sur ce segment. De l’autre côté, nous avons les AOC, les terroirs, un marché sur lequel c’est la différenciation qui fait la valeur et pour lequel, j’en suis persuadé, la massification et la standardisation sont une erreur. Il suffit de regarder ailleurs ce qui se passe. Bordeaux ou Bordeaux supérieur sont en difficulté, tout comme les Côtes-du-Rhône, alors que Gigondas ou Châteauneuf du Pape s’en sortent très bien !

Propos recueillis par Yann Kerveno

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