Tribune : où va l’agriculture ? [par Emmanuel Rizzi]

Les années passent et la situation ne s’améliore pas.

Je ne parle pas du froid qui gèle les bourgeons, de la pluie qui ruine nos moissons ou du soleil qui grille les prairies. Tout cela fait partie de notre métier et ne dépend de la volonté d’aucun d’entre nous. Le stoïcisme est la clé du bonheur en agriculture… Non, je ne parle pas de ce que la nature nous impose mais bien de cette société qui demande tout et son contraire.
Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, vient à peine de lancer la prochaine loi d’orientation agricole et, dès la première réunion, il conclut par cette phrase qui devrait tous nous faire bondir : “L’agriculture doit se raconter à la société. Mais raconter une histoire, ce n’est pas décrire la réalité”. Une fois encore on se prépare à taire le réel pour contenter une opinion qui se pense à jamais à l’abri d’une faim qu’elle n’a jamais connue. Et nous sommes tous un peu responsables.

Nous, agriculteurs, en travaillant trop et trop bien depuis que l’État nous a confié la mission de sortir le pays des tickets de rationnement au début des années 50. Nous sommes coupables d’être trop résistants, de toujours finir par semer, de traire quoiqu’il arrive. Coupables de surmonter à chaque fois les obstacles que l’Europe et la France mettent entre nous et nos champs. Mais là, les embûches s’accumulent : ZNT à 3, 5 et bientôt 100 m, retrait des molécules non problématiques comme le glyphosate, refus idéologique de toutes les technologies génétiques, luttes infondées contre le stockage de l’eau, réintroduction des lynx, loups, vautours, ours, au détriment de l’élevage de plein air, attaque de la fertilisation azotée qui nourrit pourtant un humain sur deux, guerre d’usure de la part de l’OFB, maintien de “Farm To Fork” qu’on appelle aussi “Fly To Famine” : politique européenne qui prétend imposer 25 % de surfaces bio, bio que les consommateurs n’achètent plus d’ailleurs, et réduire encore de 50 % l’usage des médicaments vétérinaires.

Vous, les Chambres d’agriculture, pour ne pas assez utiliser votre fonction et vos services pour expliquer la réalité de l’agriculture et dénoncer les attaques sociétales, politiques et médiatiques qu’elle subit chaque jour.

Vous, les politiques, de ne pas avoir le courage de voter des lois justes et de préférer légiférer en fonction des sondages, même si je dois reconnaître que certains députés ruraux se démarquent heureusement dans ce domaine.

Vous, les préfets, pour souffler le chaud et le froid sur la question lupine. Que dire par exemple du site internet de la DREAL Auvergne Rhône-Alpes ? Site où l’on découvre les programmes visant à expliquer aux scolaires tout le bien fondé de l’existence de ce super prédateur. J’imagine que là aussi, on raconte plus une histoire que la réalité et que les photos de brebis agonisantes et de génisses éviscérées n’ont pas leur place dans la mallette pédagogique. Il y a par contre de très jolis déguisements qui permettent aux enfants de s’identifier au carnivore à grand renfort de queues en fourrure synthétique et de fausses oreilles.

Méconnaissance, enfin, de la part des collectivités mise en lumière par les projets alimentaires territoriaux. C’est une démarche qui peut s’entendre, mais trop souvent, c’est l’occasion d’un véritable concours Lépine de l’autonomie alimentaire. Tous s’enflamment sur la production de légumes, de petits fruits et bientôt de café ou d’ananas, même sur les sommets du Jura…
Non, l’alimentation de masse ne repose pas et n’a jamais reposé sur la permaculture et non, il n’est pas rationnel de tout produire sur son propre territoire. Là aussi, rappelons les bases du métier : contraintes agronomiques et nécessité de rentabilité économique. Nous nous sommes déjà tous menti sur l’énergie en prétendant que le solaire et l’éolien suffiraient à nos besoins. Nous avons préféré ne pas voir que ce choix nous rendait dépendant d’un méthane que nous ne produisons pas et il a fallu attendre d’être à la veille du black-out pour regarder de nouveau le nucléaire comme un outil indispensable. Que cette erreur grossière nous serve de leçon. Ne la reproduisons pas pour notre agriculture.

La loi d’orientation agricole va ouvrir des espaces d’explication, je dis bien d’explication, pas de négociation ; nous seuls connaissons vraiment notre métier. Saisissons cette occasion pour rappeler encore et encore la complexité de produire suffisamment, pour tous et tous les ans. Le bonheur se reconnaît au bruit qu’il fait quand il s’en va. N’attendons pas que notre agriculture devienne bruyante pour commencer à la préserver.

Emmanuel Rizzi,
Éleveur allaitant bio dans le Jura
et vice-président de la Coordination Rurale

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