Tribune : la lettre au père Noël de “la bergère en colère” [par Noémie Collet]

Eh oui, moi aussi j’ai décidé de faire ma lettre au père Noël, c’est un peu enfantin mais ça ne coûte rien ! Quoi aujourd’hui peut encore se targuer de ne rien coûter ? En tout cas, pour ma routine, c’est à dire travailler, manger, dormir (au chaud), c’est la ruine ! Et puis, je ne connais ni magicien, ni exauceur de rêve, quant au Bon Dieu, je comprends sa peine.
Alors voilà :
Cher père Noël, j’espère que tu recevras ma lettre à temps, car j’y ai collé un timbre vert, histoire de m’habituer à la lenteur qui dictera désormais nos correspondances ! Je t’écris depuis ma cuisine où il fait 18°C (non pas que je sois disciplinée, mais parce qu’il faut bien reconnaître que la facture électrique, ça pique !), à la lumière de la bougie, il faut que je fasse vite, car la paraffine aussi ça ruine, pourtant je vais te faire la liste de toute la famille.
Je vais commencer par moi, car dans cette fameuse routine, ou plutôt cette tempête quotidienne, entre élevage de chèvres capricieuses et descendance malicieuse, ce n’est pas rare que je m’oublie. Je voudrais un pull chaud, père Noël, avec un col, pas rouge, ni vert, même si ce sont les couleurs de Noël, à moi elles me rappellent la goutte au bout du nez, que je m’essuie à l’instant. J’aimerais qu’il soit Français, même si je comprends que pour toi, le faire venir jusqu’en Laponie pour le ramener au pied de mon sapin, français lui, et non plastifié, le 24, il n’aura plus grand chose d’éthique, si ce n’est l’étiquette, pour peu que tu te dépannes toi aussi avec Amazon prime, bonjour la déprime. Alors voilà, un pull, chaud avec un col, pas rouge ni vert, pour que l’an prochain je t’écrive sans trembler, histoire de ne pas me retrouver avec une cale en bois au lieu d’un châle en soie.

Je voudrais aussi un tracteur, mais je te rassure, en plastique celui-là, c’est pour mon cadet, le 100 chevaux, neuf ou de bonne occasion, il y a longtemps que j’ai fait une croix dessus, enfin sur la ligne du prêt-visionnel ! Il faut dire que cette année, les charges de ma modeste chèvrerie ont pris 18 %. À peine janvier débuté, on a bien vu qu’on allait passer au tourniquet. Alors on a pris plus de cochons histoire de passer l’hiver… Seulement les cochons, personne n’en veut, c’est devenu trop cher (aussi). Le fromage c’est pareil. Mais heureusement, les consommateurs, je ne sais pas si ça vient de toi, mais eux vont être exaucés, car la pilule qui nourrit est sur le point de voir le jour. Alors non seulement ça va soulager le porte-monnaie et le planning de la ménagère (mot qu’il faut désormais éviter dont la définition a été revue entre deux 49.3 : grossièreté autrefois employée pour décrire la personne genrée au féminin qui avait la charge des corvées du ménage), mais aussi la planète et surtout les écolos, car il n’y aura plus à choisir entre élevage et faune sauvage, bassine ou piscine, engrais chimique ou fumier merdique.

L’aînée, elle, voulait des rollers, mais vu l’état des urgences, l’urgence est plutôt à la prudence. Alors, elle sera peut-être déçue, mais prends lui des lunettes, je ne suis plus sûre de pouvoir lui payer ce luxe au prochain rendez-vous, même si ce n’est que dans 8 mois, on a beau être en Haute-Savoie, la neige tombe aussi dans le désert ! Il faut dire que 13,00 € par jour dans la cantine, du luxe, ils s’en mettent dans le cornet les gamins ! Certes, il faut y faire venir maintenant ! Entre les brocolis espagnols, les haricots marocains, les poulets polonais, le porc hollandais et le soja brésilien. Ils auront fait le tour du monde… dans leur assiette.
Et puis, il faut qu’on les y conduise à l’école, car le ramassage, il n’y a pas que pour les poubelles que ça n’existe plus. Au prix de la benzine, 4 fois celui du lait. Ça ne tournait déjà pas quand c’était le double !

Mon mari lui ne veut rien, il voudrait seulement gagner sa vie en travaillant, c’est sûr, il croit encore au père Noël ! Il fait partie de cette génération à qui on a inculqué que le travail payait. Pourtant, il ne ménage pas sa peine, comme quelques dinosaures nostalgiques, mercredi à midi il a fait ses 35 h. Et pourtant il a du mal à mettre deux ronds de côté pour ses vieux jours. Serait-il puni parce qu’il fait deux semaines en une et qu’il aurait donc piqué le travail de quelqu’un d’autre ? Ah mais non, aucun risque ! Le taux de chômage est encore de 7,3 %, et il manque des bras partout, mais vraiment partout, à croire qu’il n’y a plus que des manchots, on pourra enfin faire des économies… de gants.

Et pour la petite dernière, une bricole père Noël, elle ne t’en tiendra pas rigueur, mais pour elle, vraiment, ce qu’il faudrait c’est un monde meilleur. Détrônons ces imposteurs, qui se jouent de notre labeur, fourvoyant le peuple dans la torpeur, un bon coup d’aspirateur ne serait que bonheur !

Noémie Collet,
éleveuse à Saint-Jean d’Aulps
Haute Savoie

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