Facture énergétique de + 1 500 % : les souffleurs de verre risquent de déposer leurs cannes ! [par Thierry Masdéu]
Les spéculations tarifaires des énergéticiens du gaz et de l’électricité signeront-elles l’arrêt de mort des artisans verriers ? À cette délicate question qui hante toute une profession, se greffent les démarches stressantes des opérateurs d’énergies qualifiées d’intimidantes par les verriers, qui leur somment de signer immédiatement de nouveaux contrats. Un engagement avec des augmentations de prix qui, suivant les cas d’antériorité, notamment pour le gaz, oscillent entre + 800 % et + 1 500 % !
Une situation qui rebat les cartes de la viabilité économique de ces métiers du verre, qui subissent également une forte augmentation des matières premières… À ce jour, si certains, par crainte des coupures électriques annoncées pour cet hiver, ont déjà pris la décision d’éteindre leurs fours à gaz et électriques, d’autres ont fait le pari d’en assurer la continuité. C’est le cas de la verrerie d’art à Palau del Vidre, du maître verrier Jorge Mateus, qui n’a pas d’autre alternative pour honorer son carnet de commandes et espère qu’au final, ces délestages ne seront pas nécessaires. Un risque de perte économique considérable pour ses pièces de création, lorsque l’on connaît les mesures et contraintes techniques que demandent l’arrêt ou la mise en route de certains fours, comme celui à fusion. “Je n’ai pas le choix, pour travailler le verre, ce four, qui est alimenté au gaz, doit être maintenu en fonctionnement jour et nuit avec une température de 1 150 degrés !” tient à préciser le maître verrier, qui jongle aussi avec un four de chauffe à 1 200 degrés et de cuisson à 500 degrés pour la finition. “D’ailleurs, on ne l’arrête qu’une fois par an, et encore, il y a des années où on ne l’éteint même pas ! Car le rallumer demande au minimum une semaine afin d’éviter de détériorer les réfractaires, tout comme pour l‘éteindre, sept jours au minimum sont aussi nécessaires !” témoigne t-il, avec l’anxiété de la coupure électrique qui retarderait de plus d’une quinzaine de jours toutes ses productions.
“Tous les scénarios sont possibles, même une fermeture définitive !”
Mais sa plus grande inquiétude réside sur la poursuite ou pas de l’activité lors du prochain renouvellement de son contrat de gaz. “Il nous reste encore un an de sursis avec un prix bloqué à 20 € le mégawatt/h,” souligne sa compagne, Céline Durand, qui l’assiste depuis plus d’une trentaine d’années. “Mais actuellement, les tarifications que l’on nous invite, avec insistance, à signer sont de l’ordre de 280 € à 320 € le mégawatt/h ! C’est du délire, cela représente du + 1 400 % à + 1 500 %, c’est alarmant, c’est catastrophique !” s’indigne avec un sentiment d’impuissance ce couple d’artisans créateurs, passionnés d’art verrier. D’autant qu’en juillet dernier, le coût de leur consommation d’électricité mensuelle est passé de 240 € à 670 € ! Non éligibles aux mesures d’aides de l’État, comme le “bouclier tarifaire”, ni même aux conditions actuelles pour bénéficier de “l’amortisseur électrique”, ces artisans du verre dénoncent l’indifférence totale dans laquelle les pouvoirs publics considèrent leurs métiers. Un déficit d’aides qui restreint leurs marges de manœuvre pour alléger le poste des charges énergétiques.
“Arrêter de fabriquer durant 3 mois de l’année quand la fréquentation touristique est au plus bas et doubler la production durant les autres mois ?” s’interrogent Cécile et Jorge. “Aujourd’hui, ce n’est pas forcément la solution, mais avec une deuxième équipe, pourquoi pas ? Mais, dans l’état actuel du marché énergétique, il faudra bien calculer et en fonction du prix définitif de la molécule de gaz, nous prendrons, pour l’exercice 2024, les décisions qui s’imposent. Tous les scénarios sont possibles, même une fermeture définitive !” évoquent, avec une rage mêlée d’émotion, ces passeurs du savoir qui regrettent également le manque d’attention du premier magistrat de la commune pour les aider à franchir ce cap. “Avec Jorge, nous avons mis des années à affiner et à mettre au point ces techniques que nous transmettons à nos jeunes assistants ! Des gens de tous horizons viennent voir le travail du maître verrier, comme ce couple de Nord-Américains d’une soixantaine d’années, venu acquérir une pièce pour leur collection. Alors aujourd’hui, sous prétexte d’évènements dont nous ne sommes pas responsables, il faudrait que cela disparaisse comme ça ?”
Un cri du cœur que Cécile souhaite faire entendre pour que ce métier d’art qui a fait la richesse et la renommée du village de Palau del Vidre, le palais du verre, perdure dans le temps et renoue avec son emblématique attraction historique des souffleurs de verre. Un patrimoine artisanal qu’il serait dommageable de voir disparaître de cette commune, qui s’est vue décerner le 27 septembre dernier, le label, “Ville et Métiers d’Art”…
Contact : Verrerie d’Art Jorge Mateus 04 68 22 13 02 – https://www.verrier-dart-jorgemateus.com/