Sur la guitare de Brassens… [par Jean-Marc Majeau]

Alors qu’il m’incombe, aujourd’hui, de produire une chronique, la question se pose du choix du sujet. J’aurais pu m’intéresser aux violences policières qui émaillent les rencontres entre les gilets bleus et les pilotes mineurs non licenciés, évoquer les fonds publics dilapidés par (au choix) une “ex-future” vedette du hard, future “ex-ministre” et future chroniqueuse de télévision, commenter les raisons profondes qui incitèrent feux et pillages dans les banlieues, ou m’étonner du changement de nom du Lycée Angéla Davis à Saint Denis. Finalement non. La chaleur peut-être ? Ou alors la sécheresse ? Ou alors, bien, finalement, ce sentiment de lassitude qui m’impose de ne plus vouloir parler des sujets clivants. En conséquence, je vais vous raconter une histoire.

En 2007, je reçus un appel de Jean Louis Laporte, un breton, dont l’épouse, Nathalie, venait d’être emportée par un cancer. Avant sa disparition, elle lui avait fait part de la douleur psychologique et l’isolement insoutenable que vivaient les patients confrontés, comme elle, à l’évolution d’une maladie potentiellement incurable. Son projet consistait en la création d’un service de soutien psychologique, accessible gratuitement sur le Net, afin de rompre cet isolement survenant préférentiellement en période nocturne, lorsqu’on se retrouve seul, sans aucun interlocuteur, face à ses angoisses et la peur de la mort.

Jean-Louis avait créé une association “Tribu cancer” en hommage à sa conjointe disparue. Il voulait obtenir mon soutien pour un projet de “Tour de France” que lui avait inspiré mon propre combat. Sa démarche avait pour but de sensibiliser les populations et d’obtenir les aides nécessaires pour mener à bien ce projet. Bien entendu, je lui ai donné mon accord. Ainsi, je fus au départ de son parcours, au pied des Alpilles, où une cohorte de patients malades effectuaient un trajet en vélo, accompagnés par un bus qui les recueillait quand l’effort devenait impossible et les amenait dans la ville étape suivante, qu’ils atteignaient en reprenant leur bicyclette pour les ultimes kilomètres.

Éphémère et éternel

Je fus aussi convié à la Maison de Région à Montpellier, où nous fumes reçus par Didier Codorniou. À la fin du protocole, nous finîmes notre soirée dans un domaine proche de Mauguio, pour une réunion publique et un repas. Suite à la conférence, un spectacle était prévu. Une guitare trônait sur la scène. Un tabouret lui faisait face. Un homme s’est présenté à moi. Il disait être le neveu de Georges Brassens. Il avait entendu parler de mon histoire et connaissait ma passion pour l’œuvre de son oncle disparu. D’un geste ample, il m’indiquât la scène, le tabouret et la guitare, et m’enjoignit de la rejoindre afin d’interpréter, devant le parterre des auditeurs venus écouter le récit du projet de Nathalie et de son époux, la chanson de mon choix, sur l’instrument posé sur son trépied.

Elle était celle que j’avais vue collée au poitrail du poète. Les reflets roux de sa caisse en palissandre et la couleur claire de sa table d’harmonie m’ont d’abord surpris, puisque je ne les avais jamais vues que sur les photographies d’archives, publiées alors en “noir et blanc”. Elle avait des cordes en acier, alors que je les attendais en nylon… Elle était un peu difficile à apprivoiser. À l’image de son illustre propriétaire, sûrement. J’ai logé son corps androgyne sous mon aisselle et j’ai laissé courir mes doigts sur son manche… Une chanson a suivi, presque spontanément. Je crois me souvenir qu’il s’agissait de “l’orage”, mais je me trompe peut-être. Mes filles étaient dans la salle, tout au fond… J’étais honoré qu’elles soient présentes. Ni elles, ni personne n’a immortalisé le moment. C’est peut-être tant mieux.

Ces instants de rêve ne peuvent pas survivre à l’immobilisation sur une pellicule… Ils sont aussi gracieux qu’impalpables. En reposant cette guitare sur son socle, je me suis souvenu de cette phrase de Vladimir Jankélévitch : “Chaque instant est éphémère, mais, puisqu’il a été, il devient un fait éternel”. Pour l’éternité : j’ai joué sur la guitare de Georges Brassens… J’espère que cette mélodie est parvenue jusqu’à Nathalie…

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