Schizophrénie
“Je veux ce soir vous parler des jours qui viennent…”. “Dès demain” une “reprise plus forte du travail” est possible, les cafés, restaurants vont pouvoir rouvrir dans la zone qui était restée “orange foncé” et les frontières ne seront plus fermées, même au-delà de l’espace européen à partir du 1er juillet. “Nous allons donc pouvoir retrouver le plaisir d’être ensemble, de reprendre pleinement le travail mais aussi de nous divertir, de nous cultiver. Nous allons retrouver pour partie notre art de vivre, notre goût de la liberté. En somme, nous allons retrouver pleinement la France”.
Et voilà, pour sa dernière allocution sur la guerre, le président a voulu lui-même annoncer l’armistice : tout va bien donc. Le chapitre est clos ou presque, c’est une “première victoire contre le virus”.
Donc, c’est fini, mais pas tout à fait. Les crèches, les écoles et les collèges doivent à nouveau accueillir obligatoirement tous les enfants – pour dix jours avant la fin de l’année scolaire – mais pas les lycées ni les universités. On pourra partir en vacances mais pas comme d’habitude car “il nous faudra veiller à l’évolution de l’épidémie pour nous préparer au cas où elle reviendrait avec plus de force”.
Donc, c’est pas fini, mais un peu quand même. Le virus serait toujours là et le principe reste celui de l’interdiction des rassemblements de plus de dix personnes. Les festivals de musique, danse, théâtre sont annulés mais la Fête de la musique, qui conduit des milliers de personnes dans les rues, aura bel et bien lieu le 21 juin et le second tour des élections municipales a été fixé au 28 juin. Euh ? C’est que ce virus serait sélectif et choisirait ses victimes.
Un virus aux ordres ?
Par patriotisme économique, il nous épargnerait au travail, dans les transports collectifs et pour la relance du secteur de la restauration, de l’hôtellerie, du tourisme et des loisirs. Il nous laisserait tranquilles aussi pour que nous allions accomplir notre devoir citoyen dans les bureaux de vote mais gare à ne pas dévier de la ligne donnée par le président : le virus frapperait sans pitié ceux qui s’en éloigneraient ! C’est ça, la nouvelle “feuille de route”, dessinée à la manière des labyrinthes des Castors juniors, avec des rochers, des sables mouvants et des ravins et dont la seule issue serait celle de la voie/voix du “Chef” : il ne serait pas temps de contester les mensonges et errements du passé, il nous faut obéir sous peine d’être privés du peu de liberté que notre “Chef” suprême vient de nous accorder de manière si bienveillante. Ainsi, laissant de côté les polémiques créées par son “porte flingue” se retournant contre ses propres troupes, oubliant les LBD et autres armes de guerre utilisées contre ces citoyens qui ont permis à la France de tenir pendant le confinement, il en appelle à l’oubli et au respect d’un ordre qui n’a plus rien de républicain. Le Conseil d’État, le 13 juin dernier, a jugé que l’interdiction de regroupement de plus de dix personnes édictée par le décret du 31 mai prescrivant les mesures générales pour faire face à l’épidémie, ne s’appliquait pas aux manifestations régulièrement déclarées en préfecture ? Qu’à cela ne tienne, dès le lendemain, un nouveau décret a été pris, glissant subrepticement du régime de la déclaration à celui de l’autorisation préalable : désormais, l’interdiction de regroupement ne s’appliquera plus lorsque la manifestation aura été préalablement autorisée par le préfet (sans qu’aucun délai de réponse n’ait été prévu à sa charge…). Les opposants et contestataires de tous bords sont donc prévenus : en cas de manifestation non autorisée dans les rues, ils prennent de gros risques, car le virus les guette au coin de chaque rue et derrière chaque barricade !
Une liberté retrouvée donc, mais sous la surveillance étroite d’un virus aux ordres !