Stockage de l’eau : environnementalistes opposés par principe [par Yann Kerveno]

Puisque nous avons terminé l’épisode précédent par un gros mot : “stockage”, il est temps d’y regarder de plus près.

On a vu combien le rôle des barrages sur l’Agly et la Têt avait été déterminant pour maintenir à la fois l’étiage des rivières et l’activité économique qui fait vivre le territoire. Avec une idée simple : parvenir à capter une infime fraction des débits hivernaux pour redistribuer l’eau ainsi capturée pendant les périodes où il ne pleut pas. L’idée est tellement simple qu’elle en paraît presque bête. Mais, parce qu’il y a un “mais”, les oppositions sont nombreuses. “Les mouvements écologistes sont opposés, par principe, aux projets de stockage pour deux raisons. Ils sont contre les grosses installations et ils sont tenus par la crainte que cela serve au développement des gros agriculteurs” analyse Henri Got.
Et, à chaque crue, ce sont des millions de mètres cubes qui traversent le département sous nos yeux. Ainsi, pendant l’épisode de Gloria, il est passé plus de 8 millions de mètres cubes en 36 heures dans les gorges de la Guillera, à l’endroit des premiers prélèvements des canaux de l’aval du barrage. Ce qui, en ces temps où l’on nous appelle à la modération et à limiter le gaspillage, fait désordre. Pour le moins.

Rebond

Mais revenons à cette assertion relevée par Henri Got qui impute aux volontés de création de stockage un corollaire de développement de l’agriculture industrielle. À qui profite l’irrigation ? Les chiffres sont intéressants. Après 30 ans de recul, les surfaces irriguées ont légèrement progressé en une décennie, c’est-à-dire entre les deux recensements agricoles de 2010 et 2020, en passant de 11 547 à 13 245 hectares. Avec trois secteurs qui en bénéficient : l’arboriculture à 7 359 ha (contre 6 440 en 2010), la vigne avec 1 068 ha (contre 842 en 2010) et les prairies, 2 259 ha (contre 2 059 en 2010).
Ces chiffres vont toutefois à l’encontre de la tendance majeure de ces 40 dernières années, à savoir une réduction sensible de la surface agricole utile et des surfaces irriguées. Pour rappel, la SAU totale du département des Pyrénées-Orientales dépassait les 100 000 hectares en 1979 avec 20 000 hectares irrigués. Comment expliquer alors ce rebond des surfaces irriguées de la dernière décennie ?

Effet ciseau

Probablement par la reconversion, au profit de l’arbo, de surfaces utilisées à d’autres cultures faisant partie des associations syndicales autorisées (qui gèrent les réseaux d’irrigation) mais non irriguées jusque-là. Une lecture moins “optimiste” mais non dénuée de fondement y verra aussi le durcissement des conditions des cultures qui obligent à l’irrigation pour qu’elles soient maintenues. On y verra pour preuve que la part de terres irriguées, par rapport à la SAU totale, a rebondi à près de 20 % dans les chiffres du recensement 2020, une proportion proche de celle de 1979, alors qu’elle était tombée à 15 % en 2010…
“Il y a un vrai effet ciseau” explique Jean Bertrand de la Chambre d’agriculture. “En 10 ans, les objectifs de débits réservés des rivières ont été multipliés par quatre. France Nature Environnement demande une multiplication par huit. Nous laissons donc quatre fois plus d’eau dans les rivières, donc nous disposons de moins d‘eau alors que l’évapotranspiration est plus importante. Notre défi, aujourd’hui, c’est de trouver une solution à cette équation sans diminuer la surface agricole”. En stockant ? Chiche

Qui consomme quoi ?

Comment l’eau est-elle utilisée dans les parcelles à partir des canaux ? Avec deux schémas, selon que l’irrigation est gravitaire ou sous pression. Dans ce dernier cas, la culture va évapotranspirer 70 à 80 % de l’eau, le reste de la parcelle en évapotranspirera pour sa part de 10 à 25 %, 2 à 8 % seront absorbés par les fuites du réseau. Les systèmes sous pression contribuent anecdotiquement à la recharge des nappes phréatiques. Pour les parcelles irriguées en gravitaire, sans goutte à goutte ou asperseurs, les plantes évapostranspirent 20 à 70 % de l’eau, le reste de la parcelle 10 à 50 % et la réalimentation des nappes va concerner 5 à 50 % des volumes utilisés.
Si l’on regarde à l’utilisation de l’eau prélevée par les canaux, 30 à 60 % sont utilisés par les parcelles agricoles, 5 à 10 % vont à la réalimentation des nappes, les retours directs à la rivière concernent 15 à 25 % des volumes prélevés. Il faut ajouter l’alimentation des agouilles d’interconnexion entre canaux (5 à 25 %) les fuites (défaut de cuvelage et vannage) pouvant concerner de 5 à 20 % des volumes.
(Source : Chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *