Quand les écolos “déconstruisent” l’agriculture [par Jean-Paul Pelras]
Bien sûr il y a les méventes, les intempéries, les prédateurs, les maladies, la solitude, les lourdeurs administratives, le recul des installations, les mouvements brusques du destin et toutes ces causes qui finissent par se dissoudre dans les arpents d’une déprise rurale de plus en plus prégnante. Du Nord au Sud, d’Est en Ouest, les productions qui ont fait la fierté de notre histoire agricole et qui ont permis à notre pays de préserver son autonomie alimentaire disparaissent progressivement du marché. Les filières fruits et légumes, mais également laitières, betteravières, céréalières, bovines, ovines, porcines, viticoles, avicoles sont désormais confrontées à l’érosion de leurs potentiels.
En cause, bien sûr, la hausse des coûts de production corrélée à celle des intrants ou de l’énergie et à une compétitivité de plus en plus malmenée par les accords de libres échanges internationaux. Lesquels sont dopés par les compétitions déloyales profitant notamment des dumpings sociaux, fiscaux et environnementaux. Résultat des courses, 70 % des fruits et 30 % des légumes consommés en France sont issus de l’importation. Idem pour la volaille à hauteur de 40 %, 20 %, pour le porc, plus de 50 % pour les ovins et environ 25 % pour la viande de bœuf dont les importations ont augmenté de 15 % sur un an, alors que l’élevage français vient de perdre 11 % de son cheptel en 6 ans. Soit, selon la Fédération nationale bovine, 837 000 vaches. Les chiffres sont là, têtus et répétés à l’envi par les syndicats et les interprofessions qui ont encore alerté les pouvoirs publics, le 8 février, lors d’une manifestation nationale.
Mais, à bien y regarder, parmi toutes les causes qui impactent l’agriculture française, il en est une récurrente et commune à l’ensemble des secteurs d’activité. Il s’agit de la pression exercée par les environnementalistes sur le monde paysan. Qui aurait pu imaginer, voilà seulement 10 ans, qu’un jour la France allait perdre le leadership de la production sucrière en Europe, que des arboriculteurs, dans le Midi, devraient sacrifier leurs récoltes pour laisser filer l’eau dans la rivière voisine, que des vignerons ne pourraient pas vendanger car une association allait les empêcher de sulfater contre le mildiou, que des trains de céréales seraient déversées sur les voies ferrées, que des paysans ne pourraient pas irriguer là où des activistes allaient venir saccager les retenues collinaires, que les éleveurs devraient se battre contre la réintroduction du loup et de l’ours sur les estives, qu’ils allaient devoir surveiller l’intrusion d’antispécistes dans leurs étables, que des cultivateurs allaient se faire insulter et tabasser par ceux qui traversent leurs champs et n’apprécient pas leurs façons de travailler ? La liste est longue et non exhaustive qui en dit long sur ce qu’est devenu le modus vivendi du paysan et sur l’état d’esprit de ceux qui cherchent à le déstabiliser.
Très peu de paysans parmi ces gens-là
Pour y parvenir, des amphis d’AgroParisTech au campus agricole financé par un “laborantin” milliardaire fabricant de steak végétaux, en passant par les studios de télévision où la bonne parole est portée par des artistes de variété et des présentatrices météo, jusqu’aux bancs de l’Assemblée nationale et les strapontins du Parlement européen, la grande armée de ceux qui veulent renverser le modèle agricole est en ordre de marche, structurée, influente, subventionnée, épaulée.
Très peu de paysans parmi ces gens-là et beaucoup de donneurs de leçons qui idéalisent la campagne et veulent chasser le paysan de ce pré où, et c’est peut-être le résumé des résumés, frustrés, ils rêvent de s’installer.
L’écologie, voilà ce qui est en train de “déconstruire” notre agriculture, affaiblie par une juxtaposition de contraintes environnementales souvent inapplicables, souvent franco-françaises comme nous venons de le voir avec la betterave, souvent coûteuses en termes de mises aux normes et souvent ruineuses car les paysans français ne peuvent plus suivre face à la grande braderie des marchandises importées. Un enfant de dix ans serait capable de le comprendre. Et pourtant, nos dirigeants mettent en place des consultations citoyennes, des grands débats, des programmes Farm to Fork qui vont limiter les rendements, imaginent des usines à gaz pour que l’oiseau vienne nicher au bon endroit, pour que le coquelicot repousse sur la friche abandonnée, pour que l’embâcle reste au milieu du ruisseau, parce que c’est la nature qui l’a décidé.
À l’inverse, est-ce que le paysan s’occupe des affaires des autres ? Non, il se contente de les alimenter ! Jusqu’à quand ? La question est posée avec un secteur agricole deuxième exportateur mondial en 1999 qui a dégringolé au 5e rang en moins de vingt ans. Nul besoin, à ce titre, d’être grand clerc pour entrevoir la suite du scenario. Une fois que les adeptes de la permaculture et de l’agriculture vivrière seront revenus de leur bricolage tout autant moralisateur que dévastateur, il faudra tout simplement s’habituer à acheter du poulet brésilien, à boire du lait polonais et du vin chilien, à manger des fruits espagnols, des légumes marocains, du bœuf argentin et, entre autres subtilités, de l’agneau néozélandais. Et ce, alors qu’il faudra augmenter de 50 % la production agroalimentaire mondiale si l’on veut, en 2050, fournir 2 700 kcal/ jour à tous les habitants de la planète.
En résumé, céder aux caprices des environnementalistes revient à céder, en seulement quelques années, notre place aux pays concurrents. Des étables vides, des vergers et des vignobles arrachés, des coopératives fermées, des friches, des champs abandonnés, des territoires désertés, une économie rurale anémiée, des risques naturels démultipliés, voilà ce qui attend notre pays si l’agriculture est contrainte d’abdiquer face à l’écologie. Ne pas le voir relève du déni, l’accepter relève de l’incurie !
Ce texte a été publié sous forme de tribune dans le journal “Le Point” du 7 février 2023.
Vois vous offusquer parce qu’une belge a eu l’audace de parler de manger moins de viande, chacun fait ce qu’il veut, mais avec les médias qui compte les litres d’eau et les déjections des bovins, il y a de quoi parler écologie, surtout que la France n’est pas en reste côté “manger plus sain.” Crier aux loups contre les vôtres et vous viendrez critiquer la Belgique après. Belle journée. Une Vegan 😁
Réponse au commentaire précédent
Après avoir été “écolo à la française ” jusqu’au bout des ongles, et de surcroit, végane, j’ai réalisé un jour que:
– les prairies d’élevage sont infiniment bénéfiques à l’équilibre environnemental, fixant énormément de C. Les hangars hors sol, beaucoup moins. Mettre toutes les pratiques dans le même sac est une hérésie, que font quasi tous les médias. Les chiffres avancés sont ceux du 2ème système. Or les ruminants à l’herbe trouvent au champ une bonne part de d’eau dont ils besoin . Et si la variété végétale est présente, l’émission de méthane est grandement réduite. Savez-vous que les rizières sont une source majeure de méthane? Riz tant consommé par les véganes…
– dans le véganisme, la base des calories est apportées par les céréales, or certaines céréalicultures sont hyper intensives et peuvent détruire les sols aux niveaux biologique (↘ vie), chimique (↘ minéraux) et physique (compaction, érosion).
– mais pour autant, je suis d’accord avec le message de l’Agri, et de la nécessité d’analyser les diverses expériences pour ne pas partir tête baissée dans un système s’avérant peut-être un jour inadéquat, de laisser le temps aux agriculteurs/éleveurs de procéder à des transitions en douceur et de reconsidérer toute la question sous de multiples angle :
– sanitaires : Santé humaine (bien mise à mal par les diverses modes alimentaires, parole d’ancienne végane ) + animale + végétale
– environnementales, en distinguant les divers modes productifs
– éthiques : quand j’ai compris que le cycle de la Vie inclue la Mort, j’ai accepté l’idée que mon corps ait besoin de produits animaux. Et soit dit en passant, un végane tue des milliards de vies animales en consommant des céréales 😉
– et socio-économiques
A chacun son chemin! Courage sur le vôtre…
Hélène ALTHERR