Présidentielle : agriculture, artisanat, les attentes après le 24 avril 2022 [par Thierry Masdéu]

À quelques jours du deuxième tour de l’élection présidentielle qui nous dira qui de Marine Le Pen ou d’Emmanuel Macron occupera pour les cinq prochaines années la fonction de président(e) de la République française, nous avons souhaité connaître les attentes du secteur agricole et de l’artisanat catalan.

Interrogés sur les priorités essentielles que devrait engager la ou le futur(e) locataire de l’Élysée, Fabienne Bonet, présidente de la Chambre d’agriculture des P.-O., Bruno Vila, président départemental du syndicat agricole de la FDSEA 66 et Robert Massuet, président départemental de l’Union professionnelle artisanale 66, nous livrent les urgences prioritaires à entreprendre.

Fabienne Bonet, inquiète sur le futur de l’agriculture

Tout d’abord il faudrait qu’il ou qu’elle affirme un vrai soutien à notre agriculture qui incarne l’économie des territoires et lui redonner la place qu’elle mérite dans la société, car elle est trop souvent sacrifiée au nom d’une certaine idéologie. Sans abandonner la transition agro-écologique, qui est déjà bien engagée et dont nous sommes conscients de la priorité, il faut inciter le juste équilibre entre les contraintes de production et les normes environnementales. Ne pas perdre de vue que l’agriculture a vocation à nourrir. Et les crises comme celle de la Covid-19 ou du conflit armé russo-ukrainien réaffirment la nécessité de retrouver une souveraineté alimentaire. Mais pour cela, il faut des actions concrètes qui accompagnent les agriculteurs, comme par exemple sur la gestion de l’eau. Cela peut paraître une évidence mais l’accès à l’eau est un combat que l’on mène depuis de nombreuses années. Nous espérons que, suite à la longue concertation du “Varenne de l’eau” qui s’est achevée début février, nous puissions enfin aboutir à une mise en œuvre concrète sur la sécurisation de cette ressource et de son stockage.

Ensuite on espère aussi une certaine lucidité concernant les distorsions concurrentielles de charges sociales, de productions et de normes phytosanitaires que subissent nos exploitations agricoles vis-à-vis des autres États membres de l’Europe. Il est aussi urgent de stopper la sur-transposition de la réglementation en France qui mène à des impasses techniques. La production de la cerise en est un exemple flagrant, entre les aléas climatiques à répétition et l’interdiction d’utiliser la molécule pour combattre la mouche, nos exploitants sont lourdement pénalisés. Alors que cela n’empêche pas de voir sur nos marchés des importations de cerises ou autres productions de l’Union européenne ou de pays tiers, qui continuent à autoriser des traitements interdits en France, même pour des produits labélisés bio. Que les clauses miroir soient une fois pour toute appliquées et que nous puissions profiter jusqu’à la fin juin du statut privilégié de la présidence française au sein du Conseil de l’Union européenne pour mettre de l’ordre dans ces normes et règlementations.

Bruno Vila, constat entre pessimisme et optimisme

Aujourd’hui on se trouve avec un certain déclin de l’agriculture, le nombre de paysans ne cesse de diminuer, le chiffre des installations est faible et il est loin de remplacer les départs à la retraite. Si rien n’est entrepris, cela laisse encore présager pour la décennie à venir un déficit supplémentaire du nombre d’agriculteurs, ce qui affaiblira notre autonomie alimentaire et augmentera notre niveau d’importations. D’ailleurs lors de notre congrès national de la FNSEA, qui s’est tenu il y a trois semaines, la plupart des candidats à la présidentielle qui s’y sont exprimés ont clairement indiqué que la France importe 50 % des fruits et légumes que l’on consomme. Faire des constats c’est bien, mais agir c’est mieux. Si aucune solution n’est apportée, nous allons au-devant de grandes difficultés. Et, d’ici 10 ans, on ne produira plus que 30 % de ce que l’on consomme, c’est le scénario qui se profile. Alors, on espère qu’avec la prochaine mandature, la ou le président(e) définisse des axes courageux pour maintenir et renforcer la production agricole. Surtout dans notre département qui, pour ses principales filières, ne bénéficie pas des aides de la PAC et doit principalement sa survie agricole à la valorisation des produits commercialisés.

Si l’on veut maintenir des agriculteurs, il va falloir sécuriser leurs revenus sur un marché concurrentiel où malheureusement nous ne sommes pas compétitifs. C’est la première des orientations à laquelle devrait s’atteler la présidence de la République, et faire en sorte de garantir une juste répartition des valeurs dans la chaîne commerciale. Vins, fruits, légumes, les écarts de prix proposés aux consommateurs sont beaucoup trop décalés par rapport aux prix payés aux agriculteurs. Et il est indispensable, voir vital de répartir la marge pour que les bases de productions soient mieux rémunérées. Si demain les agriculteurs vivent correctement de leur métier, l’agriculture pourra se développer car elle deviendra une activité rentable.

Ensuite, lorsqu’une exploitation entreprend un nouveau projet agricole, de grâce, simplifiez-lui la tâche des démarches administratives, aidez à l’investissement et réduisez les délais d’attente aux autorisations. Car aujourd’hui, pour les rares qui entreprennent, c’est le parcours du combattant. Entre les études d’impacts, la loi sur l’eau, les permis de construire, etc., cela prend des années pour faire aboutir des projets, qui sont souvent ponctués de contraintes récurrentes. Enfin, il faudra entamer une vraie politique de l’accès au foncier. C’est primordial pour le développement des cultures. Notamment dans notre département où il est très difficile de trouver des parcelles de 3, 4 ou 5 hectares, de taille suffisante pour mécaniser et avec l’accès à l’eau pour s’adapter au changement climatique.

Robert Massuet, tenir compte de la réalité du terrain

Avant toute chose, je demanderai à la personne qui va accéder à la fonction suprême de la respecter et de s’adresser aux entreprises et citoyens avec moins de condescendance. Ensuite, que le cap à mener sur la question des retraites soit traité en toute objectivité et qu’il y ait une réelle concertation avec les corps intermédiaires. C’est-à-dire les petits syndicats patronaux et pas uniquement avec le MEDEF ou le CAC 40, pour mieux comprendre la réalité de terrain. Car souvent, dans l’artisanat comme en agriculture, la majorité des personnes qui ont débuté à 16 ans et notamment dans le bâtiment, arrivées à l’âge de 60 ans ont le corps usé par le travail et leur demander de prolonger au-delà, c’est de la pure indécence. On nous dit que l’espérance de vie est rallongée, oui, certainement, mais pas pour tous. Alors que l’on vienne aussi nous consulter, car l’artisanat représente un tissu d’entreprises qui ne délocalisent pas et qui est implanté aussi bien en milieu rural qu’urbain, proche de l’école de la vie.

Concernant le niveau du pouvoir d’achat pour nos salariés ou pour nos artisans, il faudra enfin comprendre que c’est la même problématique. Il est avancé l’instauration de primes défiscalisées : encore une fois, c’est à la charge des entreprises, mais toutes ne peuvent pas se le permettre. Et si elles le font, de quel montant sera cette prime ? Dans l’artisanat, on ne peut pas spéculer sur ce levier pour garantir du pouvoir d’achat, et on le sait, l’artisan a souvent du mal à se verser un smic. Dans le même temps, il se saigne pour pouvoir payer ses salariés alors qu’il cumule de nombreuses heures supplémentaires. D’autres pistes devront être envisagées par la présidence. Enfin, avec la pénurie de main d’œuvre, il faut de toute urgence inciter les demandeurs d’emploi à retrouver le marché du travail, conforter les mesures pour la formation de nos jeunes dans les CFA, pérenniser les aides à l’embauche pour l’apprentissage et flexibiliser les ruptures de contrats.

Propos recueillis par Thierry Masdéu

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