Pesticides : la multiplication des impasses [par Yann Kerveno]

À mesure que les règlements changent, les impasses techniques se multiplient cette année dans les champs et viennent entamer des marges, déjà réduites à peau de chagrin dans certaines cultures.

SI jamais vos réseaux sociaux sont peuplés d’agriculteurs des différentes régions de France, vous savez déjà que cette année est compliquée. Sécheresse au Nord, mildiou au Sud, c’est le monde à l’envers, auquel vous pouvez ajouter un hiver doux sans assez de gel pour limiter la pression des ravageurs. Mais vous savez aussi que le coût économique des impasses techniques sera, cette année, très élevé. Il y a les planteurs de betteraves qui ont été contraints de demander une dérogation pour pouvoir utiliser un insecticide en catastrophe pour sauver leur récolte. Le règlement du produit dont ils avaient besoin a évolué ces derniers mois et est aujourd’hui limité à partir du stade six feuilles. Les pucerons ne sachant pas compter, ils n’ont pas attendu le stade six feuilles pour se jeter sur les plantules. Porteurs de la jaunisse, une maladie qui peut amputer une récolte de 30 à 50 %, ils représentent une menace importante. Sur les colzas, il y a la pression forte des grosses altises qui résistent, pour certaines, aujourd’hui à la famille des pyréthrinoïdes. II y a aussi ces cultures de printemps, maïs, soja, dont les semences ne sont plus protégées par des produits enrobés, en règle générale les néonicotinoïdes qui protégeaient la plante sur une longue période après le semis et qui avaient un effet répulsif collatéral et dont les semis se font défoncer par les corbeaux ou les pigeons… Voire les sangliers. On pourrait parler également de la mouche Suzukii sur les cerises… Jamais, en tout cas, la pression n’aura semblé aussi forte que cette année et l’impact sur les rendements se fera sentir.

Ça râle dans les campagnes
Responsable de la protection intégrée des cultures à Arvalis, Nathalie Verjux confirme ce contexte particulier. “L’hiver a été très doux, il a donc permis aux ravageurs de poursuivre leur cycle de développement sans être interrompus. Il y a eu beaucoup de pucerons par exemple, mais ce n’est pas limité aux cultures, les jardiniers aussi en ont souffert.” Les pucerons sont une menace aussi pour les céréales à paille puisqu’ils véhiculent une maladie, la jaunisse nanisante de l’orge. “C’est une pathologie qui peut coûter cher, jusqu’à la moitié du rendement” explique Nathalie Verjux. Les voies de secours ne sont pas légion. Il faut inventer de nouvelles stratégies, comme les plantes compagnonnes qui se développent sur colza, de nouveaux itinéraires de semis, de traitement, développer de nouvelles variétés résistantes, éventuellement, mais ce n’est pas forcément pour demain…
En attendant, ça râle dans les campagnes. Certains producteurs pestent sur le mode “on nous a retiré les enrobages, sur une année comme celle-ci, à forte pression, j’en suis à six passages d’insecticides aériens, où est le bénéfice ?” Et ce d’autant que la France fait souvent figure de pionnière dans les interdictions. “C’est l’Union qui délivre les autorisations ou les interdictions de mise en marché des molécules” poursuit Nathalie Verjux, mais chaque État a la possibilité de déroger. “Ce qui fait que, parfois, ce qui est interdit chez nous est autorisé chez nos voisins.”

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