Patrick Bolfa : “Il faut des millions d’euros pour aller d’une saison à l’autre” [par Y. Kerveno]

Le prix de vente des fruits n’a guère évolué depuis 40 ans, pourtant la production a trouvé les moyens de résister. Patrick Bolfa (Réart Vallée), producteur de pêches – nectarines dans les Aspres, revient sur les enjeux actuels.

En 1975, le kilo de pêches était vendu autour de 10 francs. En 2023, les pêches sont vendues environ 1,50 euro. Que s’est-il passé ?
À l’époque, en 1975, nous vendions en effet le calibre D à 10 francs, aujourd’hui c’est le calibre B ou A moins qui est vendu 1,50 euro. Mais à l’époque, si nous vendions les pêches 10 francs, elles étaient vendues entre 11,50 et 13 francs au consommateur. Aujourd’hui, nos pêches à 1,50 euro sont vendues autour de 3 euros au consommateur, voire 4 à 5 euros en début de saison quand il en manque. Et avec l’inflation récente, ils ont pris 20 %, en rayon, pas à la production, mais on ne parle que de cela, et pas du Nutella qui a aussi pris 20 %. Après le Covid, on s’était dit que les consommateurs avaient changé, qu’ils allaient donner la prime aux produits français, locaux, en acceptant de payer un certain prix. Mais en fait non, cela n’a pas duré.

Comment est-ce possible que le prix à la production n’ait pas bougé alors que celui au consommateur a été multiplié par deux, voire trois ?
La principale raison c’est que les intermédiaires se sont multipliés et que tout le monde prend sa marge. Il y a eu à un moment donné une loi qui obligeait à afficher le prix d’achat au producteur à côté du prix en rayon. Mais cela a été vite balayé. C’est comme la concentration. Regardez aujourd’hui, Cora, c’est fini, Casino probablement aussi. Il va rester quoi sur le marché ? Quatre ou cinq opérateurs qui, en plus, ont parfois leur plateforme d’achat en commun. Et de l’autre côté quoi ? On nous dit depuis 40 ans qu’il faut qu’on s’organise, on a fait les organisations de producteurs, mais au final, on n’a pas le droit de s’entendre sur les prix… À quoi cela sert ?

Pourtant, en 40 ans ou presque, le coût de production a aussi beaucoup progressé non ?
Oui, tout a augmenté dans nos productions. Par exemple, 60 % du coût correspond à la main-d’œuvre et le Smic a été multiplié par trois ou quatre depuis 40 ans. À l’époque on payait le gas-oil 30 centimes… L’électricité, les phytos et les engrais qui sont liés au prix du pétrole ont aussi pris 20 % d’augmentation ces deux dernières années. D’ailleurs, l’accélération a été très forte les dernières années, mais quand les prix des matières premières baissent, nous, nous n’en voyons pas la couleur. Depuis quatre à cinq ans, nous vendons autour de 1,50 euro, nous essayons de rester au-dessus de nos coûts de production. Mais les marges sont réduites autour de 20 centimes par kilo pour les pêches en moyenne nationale et à peine quelques centimes pour les abricots cette année.

Comment la production a-t-elle pu résister à une telle évolution ?
C’est assez simple. On a beaucoup fait progresser la productivité, on a fait grossir la taille des exploitations, la surface moyenne a triplé en trente ans dans le département. C’est mécanique, le rétrécissement de la marge a été compensé par les volumes produits et commercialisés. Chez nous, on est passé de 20 hectares à 500 en profitant de l’époque de la grande croissance et des marges confortables pour beaucoup investir et nous agrandir.

Jusqu’où cela peut-il aller ?
Ce qui me fait réfléchir, c’est le besoin en trésorerie avant même que la saison démarre. Aujourd’hui, il faut des millions d’euros pour aller d’une saison à l’autre et il n’y a pas grand monde pour avoir trois millions d’euros en trésorerie. Tout repose sur les banques, on n’a plus assez de marge pour constituer notre propre matelas. C’est au point que je ne sais pas comment, quand on voit les cataclysmes qui surviennent de nos jours, nous pourrions nous en sortir si nous devions connaître une année blanche. D’ailleurs, c’est une idée que je glisse à chaque ministre que je rencontre, de nous laisser, fiscalement, constituer des réserves pour ces coups durs. La réserve pour aléa, c’est 20 000 euros, qu’est-ce que cela représente pour mon exploitation ? Il faut que nous puissions constituer des réserves sans limite, sans plafond, quitte à ce que ce soit fiscalisé au bout de cinq ans si nous n’en avons pas eu l’usage !

Et l’assurance ? Ne peut-elle pas jouer ce rôle ?
Alors, je crois que tous les producteurs ou presque, en arboriculture, sont assurés contre la grêle, mais pour le reste, personnellement, je préférerais avoir la possibilité de m’auto-assurer, avec une réserve, plutôt que de cotiser à fonds perdu…

La robotisation peut-elle être un moyen de faire baisser la part “travail” du coût de production ?
Franchement, pour le moment, en pêche et nectarine, il n’y a rien de performant. J’ai vu des machines ramasser des pommes, mais il y en avait autant par terre que dans les bacs et puis, même si ces machines peuvent travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela pourrait peut-être être valable pour les fruits destinés à l’industrie, et encore il faut voir le prix de ces engins. Pour nous, le seul levier pour l’instant c’est dans les stations où nous pouvons potentiellement mécaniser un peu plus et déplacer les salariés sur d’autres postes…

Puisqu’on parle de salariés, qu’en est-il des problèmes liés au recrutement de travailleurs saisonniers ?
La main-d’œuvre, je l’ai déjà dit, c’est 60 % du coût de production. Mais paradoxalement, dans notre pays, plus les métiers sont difficiles moins ils sont rémunérés. On a fait la part belle aux professions intellectuelles et aujourd’hui on manque de bras partout, des tractoristes, des chefs de cultures… Si on n’a pas de salariés étrangers, on ne trouve personne et il faudrait pouvoir mieux les rémunérer. Les saisonniers qui travaillent aux champs ne sont pas bien assez payés alors qu’ils font un métier de plus en plus difficile. Je vous assure que ramasser des fruits l’été quand il fait 40° c’est très dur. Mais nous sommes empêchés de faire mieux par l’étroitesse des marges.

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