Parlons en !

Correspondances croisées entre le rédacteur en chef de L’Agri et le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie des P.-O. à propos des blocages pouvant nuire aux importations et aux flux commerciaux.

Lettre à Laurent Gauze, à propos des manifestations pouvant impacter les importations

Monsieur le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie des Pyrénées Orientales,

dans un “Billet d’humeur” publié ce jour 7 mars 2023 intitulé “Pourquoi rajouter une crise sociale à une crise économique”, vous vous inquiétez des incidences que pourrait avoir la grève reconductible sur notre économie locale. Et vous précisez :  “Notre département des Pyrénées-Orientales est un axe important de communication. Les échanges commerciaux entre les pays du Sud, l’Espagne, la France, et au-delà vers l’Europe, notamment dans le secteur des fruits et légumes, se font par la route. Le blocage des axes routiers par les manifestants nuit à ces échanges et entraîne des répercussions sur l’économie locale et nationale.” Mais de quelles répercutions nuisibles parlez-vous ? Si ce n’est de celles qui, tout bien considéré, sont justement favorables à nos productions agricoles locales et nationales. Oui, vous savez ces productions qui sont, depuis 30 ans, sacrifiées sur l’autel des compétitions déloyales par ces importations qui viennent, jour après jour, spolier nos marchés traditionnels. Ces importations en provenance d’Espagne et du Maroc, où la main d’œuvre au Sahara Occidental est rémunérée moins de 10 euros par jour, qui arrivent effectivement par la route ou par mer sur Port-Vendres comme vous vous en réjouissiez récemment avec certains responsables de collectivités territoriales. Sans oublier le fameux Train des primeurs transportant 90% de marchandises importées, également inauguré en présence d’élus locaux et de Jean Castex alors Premier ministre.

Alors oui, Monsieur Gauze, si ces manifestations, si ces blocages peuvent ralentir le flux responsable de tant de misère, de tant de déprise, de tant de friches, de tant de dépôts de bilans là où, dans ce département, nous avons perdu, en 30 ans, plus des deux tiers de notre potentiel agricole, et bien il faut s’en satisfaire. Car ces blocages ne portent pas préjudice à notre économie nationale. Bien au contraire, pour cette occurrence précise, ils lui rendent la place que nos principaux concurrents, soutenus par le jeu d’accords géopolitiques dévastateurs, ont usurpé. Regardez ce département, monsieur Gauze, regardez ce qu’il est devenu depuis que les paysans ont dû abdiquer. Regardez cet arrière-pays et ces friches périurbaines  où, comme dans le Deep South de Faulkner ou dans le Tobacco road de Caldwell, le régime du pneu crevé et de la baignoire abandonnée a remplacé l’opulence de nos jardins, de nos vignes, de nos vergers. Oui, regardez et vous vous souviendrez peut-être de ce que furent nos productions locales, de l’induction économique et sociale qu’elles représentaient !

Bien cordialement

Jean-Paul Pelras
Rédacteur en chef du Journal L’Agri 

Laurent Gauze, président de la CCI des Pyrénées-Orientales, répond à la lettre ouverte de Jean-Paul Pelras parue dans L’Agri, le 7 mars 2023

Monsieur Pelras,
C’est avec plaisir que je saisis l’opportunité qui m’est offerte de répondre à la Lettre ouverte que vous m’avez adressée. Votre propos était de réagir au billet d’humeur que j’ai diffusé dans les médias et sur les réseaux sociaux de la Chambre de Commerce et d’Industrie des Pyrénées-Orientales.
Comme vous l’avez souligné, je m’inquiétais du risque de prolongation des blocages routiers organisés dans le cadre du mouvement social contre le projet de réforme du régime de retraite et surtout de leurs conséquences sur l’économie locale et, par ricochet, sur ceux qui en sont les acteurs au quotidien : à savoir les entreprises, tous secteurs d’activité confondus et bien évidemment les salariés. Je ne reviendrai pas ici sur mes propos. Je les assume.
Cependant, je souhaite vous assurer ici de mon plus profond respect envers le monde agricole et pour votre engagement. En tant qu’élu économique et catalan, originaire de Rivesaltes où je vis, je connais très bien les vicissitudes passées et les difficultés actuelles rencontrées par les agriculteurs de notre département des Pyrénées-Orientales, qu’ils soient éleveurs, maraichers, producteurs, vignerons, etc.

C’est vrai, les productions locales souffrent depuis trop longtemps de la concurrence de produits importés. Ce constat est réel et personne, sur nos terroirs en tout cas, ne l’ignore. Cependant, cette réalité ne peut pas être associée à la crise sociale que nous traversons aujourd’hui. Je ne suis pas du tout convaincu que le blocage des routes, la fermeture de nos accès transfrontaliers et/ou maritimes, soit la solution.
Le département des Pyrénées-Orientales est depuis toujours une terre d’échanges. Tourner le dos à cette réalité entraînerait des conséquences encore plus néfastes sur notre agriculture : elles freineraient l’exportation de certains de nos produits, la venue de la main d’œuvre saisonnière, sans parler des conséquences sur la filière tourisme (l’un de nos principaux débouchés pour nos productions agricoles locales), les entreprises et les acteurs de l’import-export, le revenu des salariés, l’emploi, etc. Sans parler de l’impact sur l’image de notre département à l’extérieur… Et tout cela à quelques encablures d’une saison estivale tellement essentielle pour l’économie du département dans un contexte de crise globale !
Je vous garantis que chaque fois que cela sera possible, comme elle le fait toujours dans le cadre de partenariats ou de campagnes de communication, dans une logique vertueuse, responsable et de qualité, la CCI P.-O. accompagnera toujours les acteurs agricoles. Nous savons tous qu’ils sont aussi des chefs d’entreprises, qu’ils sont incontournables et surtout indispensables à notre croissance économique. C’est avec eux, en les écoutant, que nous serons plus efficaces, mieux armés pour lutter contre la “malbouffe” et, face au changement climatique, pour affronter les défis qui sont les nôtres dès aujourd’hui.

Laurent Gauze,
Président de la CCI des Pyrénées-Orientales