Observatoire prix et marges : une décennie pour asseoir le règne de l’instabilité [par Yann Kerveno]

Certaines filières s’en sortent, d’autres moins, d’autre pas. Et tous les rayons ne sont pas logés à la même enseigne.

Philippe Chalmin a présenté la semaine passée le rapport annuel de l’observatoire de la formation des prix et des marges, remis dans la foulée aux parlementaires. Fort de 450 pages, nous aurons l’occasion d’y revenir en détail ces prochaines semaines, il propose surtout un bilan des dix dernières années puisque c’est le dixième rapport ainsi rédigé. “Avec le recul, il est possible de faire plusieurs constats” explique Philippe Chalmin qui préside l’observatoire. “Le premier, c’est que nous sommes aujourd’hui bien dans une agriculture complètement mondialisée. Ces dix dernières années ont été celles de la fin du démantèlement des outils de gestion de marché de la Politique agricole commune, en particulier les quotas qui s’appliquaient au lait ou au sucre.” Et l’ensemble des filières agricoles de se retrouver alors dans la même situation d’instabilité que celle à laquelle était habituée la viande porcine.

Instabilité qui vient s’ajouter à celle provoquée par le changement climatique et ses épisodes catastrophiques de plus en plus fréquents. Dans le même temps, ajoute-t-il, les prix agricoles ont largement baissé, “ils ont perdu près de la moitié de leur valeur entre 2012 et 2020.” Jusqu’à ce que la Chine se réveille et que sa consommation fasse de nouveau tutoyer les sommets à quelques denrées de base comme le soja ou le blé. Dans son bilan, Philippe Chalmin souligne aussi que le marché alimentaire en France s’est fortement segmenté avec le développement des appellations d’origine, la bio, le développement des circuits courts. En contrepoint, il fait remarquer également, il en est beaucoup question ces dernières semaines, que les importations ont aussi énormément progressé au cours de cette décennie. Elles représentaient en 2016, un quart de “l’euro alimentaire” en y incluant la restauration collective.

Le rayon fruits et légumes dégage de la marge

“De manière générale, les taux d’auto-approvisionnement des différentes filières ont diminué et surtout la dépendance aux importations (souvent pour des produits plus élaborés) a augmenté, en particulier pour quelques secteurs emblématiques comme le vin, la viande de volaille, les fruits, les fromages, le blé dur et les oléagineux” écrit-il. De l’autre côté de la chaîne, les prix des produits alimentaires de base, le “fond de caddie” ont très peu évolué en dix ans à l’exception, souligne-t-il, des produits laitiers, de la viande ovine, le jambon et la viande hachée. Cette relative stabilité est expliquée par les mécanismes d’absorption des marges de ces produits base. “La transmission des chocs de prix agricoles est en général absorbée par l’un ou l’autre maillon dans un premier temps avant que ne s’effectue un certain rééquilibrage. C’est souvent le segment industriel qui subit le premier choc mais, dans nombre de cas, la marge brute de la distribution peut diminuer afin de maintenir la stabilité du prix de produits emblématiques.”

Et du côté des marges ? Les différences relevées par les dix études de l’observatoire mettent en évidence une grande hétérogénéité entre les rayons. Plus le rayon nécessite de mains d’œuvre, moins il s’en sort, jusqu’à avoir des marges nettes négatives, pour le poisson, entre – 4 et – 5 %, la boucherie, de – 1 à – 2 % et de la boulangerie-pâtisserie avec – 1 %. Le rayon des produits laitiers dégage une marge légèrement positive. Par contre, la marge du rayon fruits et légumes s’est nettement améliorée au cours des dix dernières années passant de 0,6 % à 3,6 % tandis que les stars de la rentabilité sont les rayons charcuterie et volailles avec des marges nettes supérieures à 5 %.

Le compte n’y est pas pour les bovins et les ovins

Enfin, du côté des producteurs, le rapport évoque des “résultats volatils et souvent décevants.” Insistant sur l’instabilité subie par les agriculteurs, Philippe Chalmin distingue deux groupes de producteurs. Le premier parvient, en cumulant prix du marché et aides (quand cela s’applique) à couvrir ses coûts de production certaines années. C’est le cas des producteurs de porcs, de lait, de fruits et légumes ou de céréales. Le second groupe n’y parvient “qu’exceptionnellement” au prix de conjonctures parfaitement favorables… C’est le cas des productions bovines et ovines. “Sur ces dix années, quel que soit le système d’élevage concerné (naisseur, naisseur engraisseur…), jamais la recette de l’éleveur de bovins viande (vente des bovins, produits joints, aide) n’a couvert les coûts de production ni ne lui a permis de se rémunérer au-delà d’un SMIC (dans la plupart des cas), voire moins. Nous sommes donc là confrontés à une situation structurelle, beaucoup plus que conjoncturelle et il en est de même, quoique de manière un peu moins marquée, pour l’élevage” écrit-il. On le savait mais le voir écrit l’encre dans le marbre. Et maintenant ?

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