“Ne prenez pas notre patience pour de la faiblesse !” [par Yann Kerveno]
À Narbonne les vignerons du Sud de la France ont parlé d’une seule et forte voix. Et incité le gouvernement à ne pas trop attendre pour réagir…
4 000 selon la police, 6 000 selon les organisateurs. La différence ne change pas grand-chose au succès de la manifestation organisée samedi à Narbonne pour défendre la viticulture méditerranéenne. Et préparer la venue du ministre de l’Agriculture mercredi à Montpellier pour le SITEVI. Pour gonfler les rangs, ils sont venus de tout le Sud de la France, de la Drôme au Gers, Joël Bouihl, président national de la coopération viticole était présent en passant par le Gard, l’Hérault, le Vaucluse l’Aude et bien entendu les Pyrénées-Orientales, David Drilles président du syndicat des vignerons, Fabienne Bonet, présidente de la Chambre d’agriculture, Bruno Vila, président de la FDSEA et Pierre Hylari, président des Jeunes Agriculteurs étaient présents, pour ne citer que les “officiels” de la profession.
Nombreux étaient aussi des brassards aux couleurs catalanes, signe distinctif choisi pour marquer leur présence. À la tribune, Fabien Mariscal, président des Jeunes Agriculteurs de l’Aude, Jérôme Despey, n° 2 de la FNSEA, et Frédéric Rouanet, président du Syndicat des vignerons de l’Aude se succédaient pour dresser l’état des lieux et porter une nouvelle fois les revendications du monde viticole. 60 M €, c’est ce que demande au bas mot Jérôme Despey pour les prochaines semaines, mais aussi un plan d’arrachage différé, un dispositif de préretraite…
Escrolos et bureaucrates
Au-delà de ces demandes formelles, Ludovic Roux, président de la Coopération viticole d’Occitanie, nous en a dressé la liste dans notre dernière édition, sont revenues sur le tapis des revendications plus générales. Celle de laisser les vignerons travailler en paix en mettant fin à la surtransposition des règles européennes, celle de mettre fin aux stigmatisations du vin dans les campagnes anti-alcool, celle de refaire du vin une fierté nationale, comme c’est le cas en Espagne, en Italie ou au Portugal, reconnaître la contribution de la viticulture à la balance du commerce extérieur de l’agroalimentaire français, cesser de considérer les vignerons comme des empoisonneurs. Passages obligés soulevant les foules, il fut question des escrolos et des bureaucrates habillés une nouvelle fois pour l’hiver “parce qu’ils ne connaissent rien à l’agriculture et sont déconnectés de la réalité” mais aussi du négoce, des metteurs en marché et des distributeurs…
“On vend aujourd’hui le vin au même prix qu’il y a 20 ans, alors que nos coûts de production ont augmenté, les caves sont pleines, les warrants coûtent cher et certains en profitent pour jouer l’intimidation, les criminels économiques sont de sortie !” s’exclamait Frédéric Rouanet. “L’inflation a bon dos, nous ne pouvons pas être les victimes collatérales d’un contexte politique qui n’est pas le nôtre ! C’est la défaite du libéralisme, ils nous ont livrés aux mains des spéculateurs comme aux années les plus noires de notre histoire.”
Rendez-vous
Rappelant que la vigne est le meilleur coupe-feu, il poursuivait : “C’est tout le Sud qui brûle, tout le monde commente et personne ne bouge. Où sont les quatre pieds nickelés de Sainte-Soline pour nous expliquer comment faire ?” Car, plus qu’une manifestation corporatiste, le rassemblement de Narbonne avait été voulu comme bien plus large, associant les familles de vignerons et les acteurs du monde rural dans son ensemble, chasseurs et élus en tête… Pour montrer que c’est bien aujourd’hui la survie des territoires méditerranéens qui se joue, en plus de celui d’un métier. En fin de manifestation, elle s’est déroulée dans un calme relatif malgré les tensions, le leader du Syndicat des vignerons annonçait une trêve syndicale jusqu’au mercredi 29 novembre. Ce jour-là, le principe en avait été acté avant la manifestation de samedi au cours d’une rencontre avec le sous-préfet de Narbonne, une délégation rencontrera Marc Fesneau au SITEVI. De son côté Carole Delga, présidente de région Occitanie, qui s’était fendue d’une lettre ouverte de soutien au monde viticole avant la manifestation, y organise aussi une réunion le même jour autour du projet de contrat de filière travaillé depuis plusieurs mois avec les représentants du monde viticole régional.